Bureau des épaves (Stranded) – de Frank Borzage – 1935
Ce qui est formidable dans les films de Borzage, c’est à quel point il est en prise avec la société dans ce qu’elle peut avoir de plus dure, tout en étant le plus romantique et le plus humaniste des cinéastes. Le plus féministe aussi, en l’occurrence, avec ce personnage de travailleuse sociale jouée par Kay Francis qui refuse d’abandonner son boulot pour celui qu’elle aime…
Rien que ça, ce n’est pas si courant à l’époque à Hollywood, où les velléités d’émancipation des personnages féminins sont souvent encouragés… avant d’être sagement étouffés (La Phalène d’argent était particulièrement parlant). Rien de ça ici : Borzage est un idéaliste réaliste, qui trouve des interprètes idéaux avec Kay Francis (mélange de délicatesse et de détermination) et George Brent, au sommet de son charme arrogant, couple que le réalisateur reforme après Living on velvet.
« I hate to see you looking so tired. If I were a gentleman I’d go home. »
Brent joue l’architecte responsable de la construction du Golden Gate Bridge de San Francisco. Ce contexte donne un arrière-plan assez fascinant, qui est au cœur de l’une des intrigues du film : le chantier est perturbé par un soi-disant syndicat de la métallurgie, qui est en fait un gang de racketteurs dont notre architecte refuse de payer la « protection ».
Les scènes sur le chantier sont particulièrement justes, et impressionnantes. Et pas uniquement la formidable bagarre magnifiquement filmée, brutale et intense dans la nuit du chantier. Tout sonne juste, d’ailleurs, dans ce film humain et bienveillant, où chaque être humain est filmé comme s’il était le personnage principal du film.
C’est le cas notamment des nombreux laissés pour compte qui apparaissent tout au long du film, contrariant constamment les moments de tranquillité de Kay et George. C’est parfois drôle, comme la scène avec les quatre immigrantes chinoises qui ricanent dès que Brent ouvre la bouche. Parfois déchirant, comme l’apparition de ce vieil homme las de profiter de la charité, qui s’éloigne tristement avant qu’un coup de feu n’éclate hors caméra, nous apprenant qu’il s’est suicidé.
Stranded est ainsi sur le fil, oscillant entre la joie et la douleur, avec une foi inébranlable en l’être humain et en la force de l’amour, mais sans pour autant refermer toutes les plaies : la culpabilité de cet homme qui a accepté de se faire acheter par le racketteur (joué par Barton MacLane) ne s’effacera pas…
Ce n’est sans doute pas anodin : le scénario de Stranded est signé Delmer Daves, un autre grand humaniste d’Hollywood, qui avait déjà écrit Flirtation Walk pour Borzage. Une très jolie réussite, encore…
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