Secrets (id.) – de Frank Borzage – 1933
Et me voilà euphorique et au bord des larmes… Pas parce que Secrets est le dernier film de Mary Pickford : j’ai eu 86 ans pour m’en remettre. Mais parce que la fiancée de l’Amérique a terminé sa carrière sur l’un de ses plus beaux films, sans aucun doute le plus riche et le plus dense.
1h20, 50 ans d’une vie bien remplie, et l’occasion pour son réalisateur Frank Borzage (terminer sur un Borzage, quand même…) de passer de la comédie de mœurs victorienne au western, de la comédie débridée au drame le plus noir. Une sorte de condensée de cinéma, en quelque sorte, l’œuvre d’un cinéaste aussi à l’aise avec les techniques héritées du cinéma muet qu’avec le son.
Ça commence dans une grande famille de la Nouvelle Angleterre : un important armateur (C. Aubrey Smith) qui a décidé de marier sa fille à un beau parti, chiant comme la lune. Mais la belle (Mary Pickford) est tombée sous le charme du comptable de la famille (Leslie Howard), jeune homme droit et un rien excentrique, qui s’enfuit bientôt avec celle qu’il aime. Direction la Californie, voyage plein de charmes et de dangers que Borzage résume à une succession de plans aussi courts que percutants, montage ébouriffant à la puissance dramatique immense.
Secrets est plein de ces formidables ellipses qui balayent en quelques secondes une nuit, une année, une décennie, voire plus. Avec quelques fulgurances particulièrement marquantes : un simple plan très sombre sur les bottes d’hommes se balançant à un arbre, une série de berceaux d’enfants, un pommier replanté qui fleurit, la flamme d’une bougie qu’on éteint… Des plans magnifiques et évocateurs qui en disent tellement sur le poids du temps qui passe.
Ces ellipses sont comme des accélérations soudaines dans un récit qui sait aussi prendre son temps, quel que soit le ton : léger et drôle dans la première partie, celle de la rencontre et de la fuite des deux amoureux ; noir et intense lors de l’attaque des bandits, d’une violence particulièrement percutante et marquante.
Chacune de ces étapes de vie s’imprègnent durablement dans l’esprit du spectateur, comme autant de secrets partagés par les deux héros, que l’on suit jusqu’au soir de leur vie, désireux de se retourner vers ces cinquante ans si plein de moments forts, comme nous de replonger déjà dans ce film si beau, si complet, et si plein de vie.
En signant le remake de son propre film, tourné en 1924, Borzage choisit le camp de l’optimisme, et de la vie. L’amour plus fort que tout… Borzage, quoi…