Notre héros (Lazybones) – de Frank Borzage – 1925
Lazybones, c’est le surnom donné au plus grand flemmard d’une petite ville de l’Ouest. Un jeune homme qui passe ses journées affaler contre une clôture qu’il doit réparer, ou sur un arbre au bord de la rivière. C’est là qu’il sauve de la noyade une jeune désespérée terrorisée à l’idée d’annoncer à sa mère tyrannique qu’elle a eu un enfant durant ses années d’absence dans la ville où elle étudiait. Lazybones lui propose alors de recueillir le bébé… le temps que la maman arrange le coup avec sa famille.
Lazybones, c’est Buck Jones, dans un rôle proche de celui qu’il tenait dans le Just Pals de John Ford, loin de ses rôles habituels d’aventurier dynamique. Curieux hasard : Just Pals comme Lazybones marquent les débuts de leurs réalisateurs respectifs à la prestigieuse Fox, en 1920 pour Ford, cinq ans plus tard pour Borzage. L’univers de Lazybones, cette Amérique rurale profonde, semble d’ailleurs plutôt fait pour un Ford justement.
Mais Borzage se l’approprie totalement. Avec l’histoire de cet homme si paresseux, dont la personnalité ne se révèle vraiment que face aux coups du sort, Borzage signe un film plein et fort, entre humour, tendresse et drame. Et quel que soit le ton adopté, il ose systématiquement aller au bout de ses émotions.
Dans l’humour d’abord, avec cette première image d’une toile d’araignée immense qui s’est formée entre le pied de Steve (Buck Jones) et la clôture, contre laquelle il a adopté sa position de prédilection : affalé comme un sac. Le drame ensuite, avec le destin terrible de cette jeune femme forcée d’abandonner son enfant par une mère tyrannique… Zasu Pitts, dans ce beau rôle tragique, est bouleversante.
Comme souvent chez Borzage, il y a aussi la Grande Guerre qui vient bousculer l’équilibre des choses, même si le conflit se limite à l’écran à une courte séquence pleine d’une dérision inattendue. Au retour du héros, plus rien n’est vraiment pareil, le temps a passé, les sentiments ont changé…
La fin est profondément casse-gueule, Borzage flirtant avec l’indéfendable (non, tomber amoureux de son enfant, même adoptif, ce n’est pas défendable). Cette fin prend d’ailleurs de grandes libertés avec la pièce originale, qui allait plus loin encore. Elle souligne aussi avec beaucoup de sensibilité la solitude de son héros, et le gâchis de plusieurs vies sacrifiées.
Entre l’amertume et l’optimisme, ce beau film trouve un équilibre fragile. Jusqu’à la toute dernière image…