American Sniper (id.) – de Clint Eastwood – 2014
A l’exception très notable de Sully, on ne peut pas dire que les derniers Clint Eastwood m’aient franchement emballé. Depuis que le grand Clint a pris sa quasi-retraite d’acteur (retraite dont il sort d’ailleurs dans quelques jours avec La Mule… Chouette !), et surtout depuis qu’il ne s’intéresse plus qu’aux « héros » de l’Amérique contemporaine, son cinéma a une petite tendance à la froideur qui me laisse quelque peu de marbre.
Je ne pouvais quand même pas décemment passer indéfiniment à côté de ce American Sniper, adaptation de l’autobiographie de Chris Kyle, tireur d’élite devenu un mythe pour avoir dessouder à lui seul 160 types (ou femmes, ou enfants) durant la guerre d’Irak, et mort quelques mois seulement avant le début du tournage. Un film qui a valu à Clint son plus gros succès populaire (à 84 ans !), et une polémique tenace autour d’une pseudo glorification patriotique de l’acte de tuer.
Patriotique, American Sniper ? Dans sa toute dernière partie, sans le moindre doute. Mais la conclusion hagiographique n’enlève rien au fait qu’avant ces quelques ultimes minutes, il y a plus de deux heures d’un portrait pas si glorieux que ça d’un Américain moyen confronté à la guerre. Un Américain profond même, bouseux du Texas un peu bas du front que Clint filme avec sa frontalité habituelle : pas question pour lui d’encenser ni de dénoncer, il montre simplement un homme dans sa complexité.
On pourrait penser aussi que le personnage de l’épouse de Chris Kyle est sacrifié, elle qui doit se contenter de jouer celle qui voit son homme se renfermer sur lui-même et sur ses fantômes, sans pouvoir toujours comprendre ce qu’il ressent. Mais ce personnage, joué par Sienna Miller, est le parfait alter ego du spectateur, jamais vraiment invité à pénétrer dans le subconscient de Kyle.
Eastwood ne rend pas son « héros » aimable, il n’en fait pas un chevalier blanc (ou noir) uniquement dédié à la défense de son pays. Sans doute l’est-il en partie, mais libre aussi au spectateur de penser que ce cow-boy texan est parti à la recherche d’un sens à sa vie, et qu’il est devenu accro à l’adrénaline, à la peur, et à la mort. Au risque de se perdre en chemin.
Le choix de Bradley Cooper pouvait faire peur : l’acteur n’est pas franchement le plus enthousiasmant de sa génération. Pourtant, il est remarquable dans ce rôle ingrat pour lequel il se transforme physiquement de manière spectaculaire. Est-ce vraiment un compliment ? En tout cas il est absolument parfait pour jouer les bœufs.
Le film est peut-être un rien trop long. L’enchaînement des « accrochages » et des fusillades a un côté un peu catalogue qui n’était sans doute pas indispensable, d’autant plus que Clint Eastwood n’est pas taillé pour le registre d’une Kathryn Bigelow (celle de Démineurs ou de Zero Dark Thirty). Cela dit, ces séquences de bravoure révèlent un talent qui était loin d’être évident chez Eastwood jusqu’à présent : un sens du cadre et une intelligence de l’action qui renvoient un Ridley Scott aux oubliettes.
Surtout, Eastwood passe avec un vrai bonheur de l’action la plus immersive aux scènes intimistes. Son film parle de la guerre, certes. Mais il parle surtout de cet homme à la dérive et de son couple. Là, on retrouve l’extrême sensibilités du cinéaste, sa manière toute personnelle de coller à ses personnages et de placer quelques petites notes de musique toutes délicates. Voilà une réussite du grand Clint que je n’attendais pas…