La Pièce maudite (The Brasher Doubloon) – de John Brahm – 1947
Philip Marlowe, une riche cliente, une jeune femme un peu dérangée, un mystérieux objet pour lequel des tas de gens semblent prêts à tuer, un homme de main patibulaire, un type menaçant plus pathétique que vraiment dangereux…
Autrement dit : vous prenez Le Grand Sommeil (gros succès sorti l’année précédente), vous y ajoutez une touche du Faucon maltais (gros succès sorti il n’y a pas si longtemps), vous mélangez, mais surtout pas trop, et vous obtenez La Pièce maudite, nouvelle adaptation d’un roman de Raymond Chandler avec son détective fétiche, la deuxième cette année-là avec La Dame du Lac, de et avec Robert Montgomery.
Et c’est un autre Montgomery qui se glisse dans les habits du détective cette fois : George de son prénom, nettement moins connu que Robert, pour une production nettement moins ambitieuse que l’expérience en caméra subjective de ce dernier. C’est une petite chose que signe là John Brahm, cinéaste qui venait de signer ses meilleurs films (de Jack l’Eventreur au Médaillon en passant par Hangover Square), mais qui semble déjà sur le point d’abdiquer.
Il y a bien quelques scènes très fortes, une poignée de plans intéressants : des visages patibulaires penchés sur une caméra subjective, une course poursuite assez brève dans des ruelles mal famées… Mais le film est en grande partie assez anonyme. Efficace, fluide et même passionnant, mais anonyme.
Et soigné, aussi : c’est même le premier terme qui vient à l’esprit. Brahm fait le boulot, et signe un film à intrigues qui remplit le cahier des charges en maintenant le suspense, en ménageant quelques rebondissements plus ou moins attendus, et en assurant une conclusion mouvementée. Il tient parfaitement le fil de son histoire, ne perdant jamais le spectateur en route… comme Hawks n’hésitait pas à le faire dans Le Grand Sommeil.
Lui, Hawks, privilégiait toujours le moment, la scène. Résultat : un classique indémodable, succession ininterrompue de scènes inoubliables qui touchent au mythe. Brahm fait le choix inverse, privilégiant la cohérence de l’ensemble. La prestation de George Montgomery s’inscrit parfaitement dans cette démarche. Montgomery n’est pas Bogart, et au moins n’essaie-t-il pas de le singer, livrant une interprétation modeste mais fidèle à l’esprit du personnage.
OK, on n’est pas dans le mythe. Mais ça n’empêche pas d’y prendre un vrai plaisir.