Les Frères Rico (The Brothers Rico) – de Phil Karlson – 1957
Encore une petite merveille à mettre au crédit de Phil Karlson, décidément l’un des plus grands auteurs de « noirs » des années 50. Celui-ci est l’adaptation d’un roman « américain » de Simenon. Totalement passé inaperçu à sa sortie, quasiment oublié depuis, ou en tout cas très largement méprisé, Les Frères Rico fait pourtant partie des très grandes réussites du film noir, du film de gangster, du film d’angoisse, et du genre « adapté de Georges Simenon ».
OK, il y a les deux dernières minutes, tellement en rupture avec tout ce qui précède qu’il paraît évident qu’elles ont été imposées par la production. Mais qu’importe ce final très discutable : ce qui précède, tout ce qui précède, est un sommet d’angoisse, et la brillante démonstration que Karlson fait partie des grands auteurs oubliés du cinéma de genre.
Au cœur du film, il y a l’un des frères Rico, joué par Richard Conte dans l’un de ses meilleurs rôles. Un homme marié sur le point d’adopter un enfant, et dont on comprend vite qu’il a un passé avec la mafia. Un passé qui finit par le rattraper lorsque le parrain de la mafia, qu’il considère comme un père de substitution, lui demande de retrouver son jeune frère, dont la disparition fait peser sur lui d’inquiétants soupçons chez d’autres chefs mafieux.
Entre Rico et son « parrain », il y a une relation de confiance, et une affection familiale. Croit-il. Parce qu’après une première partie pleine de bienveillance et même de légèreté, mais sur laquelle planait déjà un curieux sentiment de menace, impalpable, Karlson et ses scénaristes (parmi lesquels Dalton Trumbo, non crédité) ont leur premier coup de génie : donner au spectateur une longueur d’avance qui fait toute la différence, en montrant le vrai visage du parrain.
Et la quête de Richard Conte qui part à la recherche de son frère à travers les Etats-Unis se transforme en un sommet d’angoisse, avec la tragédie annoncée et cette vision paranoïaque d’un pays où le danger semble soudain omniprésent, prenant l’apparence troublante de rencontres impromptues, et répétées. A chacune de ses étapes, Conte/Rico est confronté au même trouble : ces visages souriants et affables qui, mine de rien, resserrent les uns après les autres la menace sur lui.
Il y a bien sûr quelque chose de la Chasse aux Sorcières (dont Trumbo fut l’une des victimes à Hollywood) dans cette vision cauchemardesque de l’Amérique, qui nous fait passer de la légèreté des premières scènes à un climat d’authentique film noir, avec ruelles obscures et ombres profondes, jusqu’à la tragédie elle-même, séquence bouleversante d’une puissance narrative et émotionnelle rare. Et qu’importe la fin, encore une fois, je ne suis pas prêt d’oublier ces frères Rico…