Cold War (Zimna wojna) – de Paweł Pawlikowski – 2018
Ce n’est pas tant le noir et blanc qui frappe la rétine au premier coup d’œil : après tout, le précédent film de Pawlikowski, Ida, était également en noir et blanc. C’est plutôt le format de l’image, tellement carrée qu’elle semble écrasée, étouffée. Ce choix extrême surprend, mais il ne doit rien au hasard : ce sentiment d’écrasement et d’étouffement sera constant dans ce très beau film, romanesque, cruel et déchirant.
Séduisant, aussi. Avec son précédent film, déjà très beau, le réalisateur polonais avait adopté une certaine austérité qui collait à la personnalité de son héroïne. Ici, ce sont deux êtres en quête désespérée de liberté, qui ne rêvent que de pouvoir vivre librement leur histoire d’amour. Pawlikowski est un vrai, et un grand, cinéaste : chez lui, la forme est constamment au service du récit. Du coup, son film est à l’image de son couple : romantique, intense, indécis aussi par moments.
Cold War commence dans la Pologne de l’après-guerre, dans un pays qui lui aussi cherche à retrouver une certaine liberté. Une liberté qui ne peut s’exprimer que par l’art : par la création d’une troupe de chanteurs et danseurs en l’occurrence, dont le credo est de ne mettre en valeur que les vieilles traditions rurales du pays. Ce qui donne, pour ouvrir le film, une série de plans envoûtants sur des gueules chantant des airs traditionnels. Superbe ouverture.
Glisserait-on vers l’optimisme béat ? Ben non, bien sûr : les réalités de l’époque s’imposent bientôt, par l’intermédiaire d’un directeur aux ordres qui impose à la troupe d’intégrer des messages staliniens à sa revue, et qui incite son chef d’orchestre à prendre la tangente, laissant derrière lui la belle chanteuse vedette, qui n’a pas pu se résoudre à passer à l’Ouest, et à laisser un quotidien morne mais assuré, pour un avenir incertain.
Et puis… et puis il y a une série d’ellipses magnifiques et douloureuses qui font passer les deux personnages (magnifique Joanna Kulig et Tomasz Kot), le temps d’un fondu au noir, d’une année à une autre, d’un lieu à un autre, de la Pologne de la fin des années 40 au Paris des années 50. Superbe film où l’évolution du monde, et des personnages, ne s’illustre jamais aussi bien que par la musique, et par les non-dits, et les non-filmés.
Avec Cold War, Pawlikowski signe une œuvre magnifique sur la passion amoureuse contrariée, sur le libre-arbitre, sur l’exil aussi… une œuvre universelle en quelque sorte, sur la lame de fond que peut constituer l’Histoire en marche. Avec ses mouvements de caméra élégants et envoûtants, avec ses images épurées, et en limitant systématiquement la durée des scènes, Pawlikowski souligne constamment la force des émotions, l’intensité de la vie, et la fragilité du bonheur.
Le film a valu au cinéaste le Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes. Le palmarès est, par nature, très discutable. Mais ce prix-ci semble une évidence absolue. Quand on arrive à mettre en image avec une telle force et une telle simplicité apparente la beauté d’une histoire d’amour et la cruauté aveugle de l’histoire, c’est tout simplement magnifique.