Casque d’or – de Jacques Becker – 1952
Becker est grand, et Casque d’or est un chef d’œuvre. Voilà, ça c’est dit. Rien d’original dans ce constat bien sûr : ce film fait partie des, quoi… dix classiques indémodables inlassablement cités parmi les plus grandes réussites du cinéma français. Eh bien oui. Sans aller jusqu’à l’idée d’établir un top 10, un top 3, un top 50, ou quelque classement que ce soit, oui, Casque d’or est un chef d’œuvre.
Une superbe histoire d’amour, une tragédie bouleversante, un grand film noir, le portrait fascinant des bas-fonds parisiens de la fin du 19e siècle… C’est tout ça à la fois, Casque d’or : un film tellement riche que, franchement, je ne sais pas par quoi commencer. Par le plus évident ? Le couple que forme Simone Signoret et Serge Reggiani ? Un chef d’oeuvre à lui seul, ce couple, dont la complicité passe constamment par les regards plutôt que par les paroles.
« Tu m’aimes ? » lui glisse-t-elle alors qu’ils assistent à un mariage dans une église. Son silence à lui est tellement éloquent qu’il en devient la plus belle des déclarations d’amour. Comme ces sourires qu’ils esquissent chacun de leur côté après que leur première baiser a été interrompu par la jeune promise de Manda… belle scène où l’alchimie presque magique qui réunit ces deux-là ferait presque oublier le terrain vague glauque et désolé dans lequel elle se déroule.
Le décor : les rues mal pavées et mal famées de Montmartre, où viennent s’encanailler de riches désœuvrés pendant que les « autochtones » s’occupent de leurs trafics. On est en 1952, et la manière dont Becker filme ces personnages, dans ces décors, est extraordinaires. Toujours à hauteur d’hommes, sans jamais chercher à embellir la réalité : le film s’inspire d’un faits divers bien réel, il trouve ses racines dans la violence et le sang. Et ça se sent.
Les acteurs sont formidables : Raymond Bussières, Claude Dauphin, et le moindre second rôle. Il y a le phrasé, le pseudo sens de l’honneur, la fausse camaraderie. Il y a surtout la manipulation, l’humiliation, et violence des sentiments et des actes. Les gifles que se prend Casque d’or, et la fierté que la jeune femme tente d’arborer malgré tout. La mort, aussi, réelle et brutale.
Centrale, la séquence du bistrot où se noue le drame est d’une puissance narrative incroyable. Becker y soigne tout autant la reconstitution, d’une précision impressionnante, que la tension, grandissante et étouffante. Visuellement c’est une splendeur. Et l’effet que procure cette explosion de violence, repoussée depuis si longtemps, ne retombe pas.
Il faut aussi évoquer la beauté presque irréelle de cette parenthèse à Joinville, dont la lumière quasi-divine semble droit sortie d’un rêve. Et puis la beauté simple de l’amitié qui lie Reggiani et Bussières. Et le final bien sûr, traumatisant et inoubliable, qui donne à Simone Signoret l’un des plus beaux (si ce n’est le plus beau) plan de sa carrière. Oui, Casque d’or est un chef d’oeuvre.