Elstree calling (id.) – d’Alfred Hitchcock, André Charlot, Jack Hulbert et Paul Murray – 1930
Voilà sans doute la plus grande curiosité de toute la filmographie d’Hitchcock. Un film que le cinéaste lui-même, dans son livre d’entretien avec Truffaut, balayait d’un laconique « Rigoureusement sans aucun intérêt » qui confirme ce que l’on peut en penser : sa participation à cette production typique des premiers temps du parlant fut une affaire de circonstances. Une parenthèse (courte, puisqu’il assurait, en exagérant, n’avoir travaillé qu’une ou deux journées sur le film) pour un cinéaste déjà très important : il venait de réaliser avec Chantage le premier film anglais parlant.
Celui-ci n’est clairement pas le plus hitchcockien des Hitchcock. Et pour cause : il se contente d’ailleurs de réaliser une poignée de séquences intermédiaires, les numéros de music-hall eux-mêmes étant filmés par d’autres. Pas toujours de manière inoubliable d’ailleurs : si les numéros en eux-mêmes sont pour la plupart sympathiques (il faut quand même aimer les claquettes faites par des blancs grimés en noirs), la réalisation est le plus souvent très plan-plan, privilégiant le cadre frontal et à peu près fixe.
Rien d’emballant, donc, mais un parti-pris plutôt efficace : en variant les styles, en passant de la danse au chant ou à la saynète amusante, le film renoue avec l’ambiance d’une soirée de cabaret, ce qui est clairement l’ambition. Le spectateur assiste à une suite de numéro, tout en découvrant (un peu) les coulisses des studios anglais d’Elstree où une émission de télévision est censée être diffusée en direct.
C’est l’une des particularités du film (il y en a d’autres, dont l’utilisation de la couleur pour une poignée de numéros) : montrer les premiers pas très hésitants de la télévision, par le biais d’un fil rouge mis en scène par Hitchcock lui-même. Cette série de courts intermèdes met en scène un couple tentant désespérément de régler leur téléviseur pour assister aux différents numéros que leur voisin finit inlassablement par leur raconter. On s’y attend, et on n’est pas déçu : le téléviseur ne sera enfin réglé que pour voir l’animateur souhaiter une bonne soirée à tous à la fin de l’émission, et donc du film.
Outre ce fil rouge, Hitchock réalise aussi deux saynètes. L’une, annoncée tout au long du film par un comédien qui réclame à corps et à cri de pouvoir jouer Shakespeare, est une parodie un rien lourdingue de La Mégère apprivoisée, avec entrée en scène sur un side-car, et grand final de tartes à la crème. Franchement pas grand-chose à retenir de cet essai comique peu concluant du grand Hitchcock.
L’autre saynète, en revanche, est aussi courte que remarquable. Dans un décor sombre et dépouillé, Hitchcock y filme un couple s’enlaçant et s’embrassant en gros plan. Les rideaux derrière eux bougent, le visage d’un homme sort de l’ombre, on le voit s’avancer, un gros plan sur sa main nous montre qu’il a un pistolet, dont il se sert pour abattre les deux amants. Le mari jaloux s’arrête alors, regarde mieux ses victimes, et réalise qu’il s’est trompé d’appartement.
Au-delà du gag pas renversant, c’est la manière dont Hitchcock met en scène ce faux suspense qui est formidable. Le jeu sur les ombres, les gros plans, le montage… C’est du pur Hitchcok, digne de ses grandes réussites d’avant ou d’après. Ça ne dure qu’une (petite) poignée de minutes, mais c’est de loin le meilleur moment de ce film inégal, mais indispensable pour tout admirateur d’Hitchcock.