Forfaiture – de Marcel L’Herbier – 1937
Amoureux du film de Cecil B. De Mille, L’Herbier en signe un remake, une revisite, ou un hommage, c’est selon. C’est même tout ça à la fois, tant L’Herbier est fidèle à son modèle tout en imposant sa marque, et tant il témoigne ouvertement de son admiration pour le film de 1915, qu’il cite explicitement dès les premiers instants tout en glissant quelques images de Fanny Ward et Sessue Hayakawa.
Mieux, L’Herbier prend le parti, rarissime, de rappeler ce dernier pour qu’il rejoue le rôle qui l’a rendu internationalement connu vingt-deux ans plus tôt, alors que l’art du cinéma muet était encore en plein apprentissage. Le passage du jeune Sessue à celui plus mur de 1937 est assez troublant, d’autant que le choix de l’acteur doit tout à la volonté de L’Herbier de rendre hommage à De Mille: l’acteur japonais est visiblement mal à l’aise avec ses dialogues en français.
Sa première rencontre avec Victor Francen est étonnante, L’Herbier ne filmant que les répliques du Français, comme s’il avait une conversation au téléphone alors que Sessue Hayakawa est bien en face de lui. Limitant au maximum ses dialogues, L’Herbier fait de lui un personnage à l’aura surpuissante et un peu mystérieuse, dont la présence (ou l’absence d’ailleurs) semble peser sur tous ceux qui l’entourent, « son » monde.
Le film marque ainsi par la cruauté et la brutalité des rapports humains. Tout n’est que domination dans Forfaiture. Dans sa partie mongolienne bien sûr, qui s’ouvre avec des plans particulièrement forts montrant de véritables esclaves au travail, marqués dans leur chair par le sceau du prince local, ce sceau qui aura une importance si grande dans le drame qui se joue.
Mais cette domination s’étend à tous les rapports humains. Il y a l’impérialisme occidental bien sûr, la domination des blancs sur les Asiatiques. Mais aussi celle, plus généralement, des puissants sur les plus petits. Sans oublier les rapports hommes/femmes, très brutaux, à commencer par le couple interprété par Francen et Lise Delamare, cette dernière cherchant constamment le regard de son mari lorsqu’elle doit prendre une décision. Autant de jeux de domination dont joue le personnage de Louis Jouvet, symbole cynique d’une société loin d’être égalitaire.
Visuellement, c’est une réussite, L’Herbier étant particulièrement doué pour créer une atmosphère dramatique, qui ne perd rien en changeant de continent d’ailleurs. Ses qualités de directeur d’acteurs sont sans doute plus discutables : Francen en fait des tonnes, Sessue Hayakawa est le plus souvent en retrait, et Louis Jouvet est sous-exploité si ce n’est dans les scènes de procès, où il est admirable dans sa manière de commenter l’action presque en aparté. Mais c’est Lise Delamare qui s’en sort le mieux. Glissant irrémédiablement de la légèreté à la tragédie, elle est magnifique.