Madame de… – de Max Ophuls – 1953
L’avant-dernier film de Max Ophüls (avant Lola Montes), et une pure merveille. Cette adaptation d’un roman de Louise de Vilmorin est tout à la fois l’histoire d’un amour impossible, le portrait d’un homme qui voit la femme qu’il aime lui échapper, et surtout celui d’une femme qui a tout pour elle, et qui ne rêve qu’à ce qu’elle n’a pas…
Danielle Darrieux, bien sûr, est magnifique dans le rôle. Incarnation même du charme, du désir… et de la frivolité la plus égocentrée, elle est à la fois bouleversante et odieuse, entièrement tournée vers son propre bonheur (ou plutôt son manque), révélant un désintérêt total face au bonheur simple de sa nièce. Egoïste, cruelle, et pourtant d’une innocence désarmante.
On comprend qu’elle fasse tourner les têtes, la Darrieux, d’une beauté fulgurante : celle de son amant joué par Vittorio De Sica, et celle de son mari Charles Boyer, absolument formidable dans le rôle d’un officier droit dont le port altier dissimule de moins en moins les fêlures. Les deux scènes d’adieux dans un train dont il est, à chaque fois, l’un des protagonistes, sont extraordinaires. Il y est d’abord léger et détaché, affable mais cruel. Puis désarmant de douleur et de tendresse contenues. Et ce contraste est bouleversant.
C’est que le film montre merveilleusement l’abîme qui sépare les apparences des sentiments, dans cette société très corsetée. « Notre bonheur conjugal est à notre image : ce n’est que superficiellement qu’il est superficiel », résume le personnage de Charles Boyer. Les dialogues, que l’on doit à Marcel Achard, sont merveilleux, souvent à double sens. « Avez-vous eu de bonnes nouvelles de votre mari ? » demande Vittorio de Sica inlassablement, avec une courtoisie à peine feinte : son regard implore une réponse négative qui ne vient pas.
Dialogues et mise en scène participent d’ailleurs de la même logique : dire ou montrer sans les dire vraiment, et sans vraiment les montrer. Ophüls réussit des ellipses magnifiques (« 4 jours sans vous voir… » ; « 2 jours sans vous voir… » ; « 24 heures sans vous voir… », drôle de compte-à-rebours qui illustre le sentiment amoureux qui ne fait que croître), des hors champs inoubliables (le coup de feu unique, glaçant), et de longs plans d’une élégance à couper le souffle.
C’est le cas dès la première image, plan séquence (presque) subjectif qui s’ouvre sur une penderie remplie de vêtements et de bijoux, avant de s’éloigner pour mieux embrasser le luxe de la chambre, avec cette voix off envoûtante de Danielle Darrieux qui nous plonge immédiatement dans son intimité la plus troublante. Magnifique.
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