La Grande Muraille (The Bitter tea of General Yen) – de Frank Capra – 1933
Une jeune Amérique qui débarque dans une Chine ravagée par la guerre civile pour épouser un missionnaire, mais est enlevée par un seigneur de guerre aussi inquiétant que séduisant
Entre deux séries de chef d’œuvre dont l’Amérique est immanquablement le cadre, parfois fantasmé, Capra prend l’air avec cette belle virée asiatique, mais l’esprit US tel qu’il l’évoque film après film est bien là : ce regard pas si candide qu’il porte sur la grandeur d’âme de son pays, et le replis sur soi-même qui va souvent avec.
C’est cette dualité qui marque une nouvelle fois le film. D’un côté, l’incapacité de se comprendre au-delà des barrières culturelles. De l’autre, la bonté et la générosité incarnées par Barbara Stanwyck. Et entre deux, le regard de Capra, grand cinéaste encore trop mésestimé, aussi à l’aise et audacieux dans les grands mouvements de foules que dans les moments les plus intimes.
Le début du film est particulièrement impressionnant, avec ces scènes de foules et d’émeutes qui, en quelques plans, donnent vie à un pays en plein troubles. Capra n’édulcore en rien la violence de la situation. Des décennies avant l’irruption du gore dans le cinéma, lui filme l’horreur avec nettement plus de retenue, mais avec une force incroyable, notamment lors des tueries de masse qu’il filme, et qui n’épargnent pas même les enfants.
Inimaginable aussi, pour l’époque : Capra ose mettre en scène un baiser interracial, chose à peu près impensable dans cette Amérique puritaine où le code Hayes allait être mis en place. OK, la pudibonderie américaine est sauve, puisqu’il s’agit d’une vision de l’esprit, un fantasme de Barbara. Mais quand même…
Pour autant, The Bitter Tea est un peu en deçà dans la filmographie de Capra, qui flirte dangereusement avec la caricature. Le personnage de Yen surtout, n’est pas le plus convainquant qu’il ait filmé. Mais il le fait avec sincérité, et surtout avec une bienveillance teintée d’ironie qui fait des merveilles.
On est bien chez Capra : la bonté a des pouvoirs inimaginables. Mais elle est ici contrebalancée par une cruelle réalité. Yen est « sauvé » par l’amour ? Il réalise qu’il s’en retrouve coupé de tout ce qui fait le poids de son existence, se retrouvant seul dans un immense palais désert, dans une scène magnifique et désabusée.