L’Homme à l’affût (The Sniper) – de Edward Dmytryk – 1952
Le tueur en série est, au cinéma, un personnage à peu près aussi vieux que le cinéma lui-même. Mais à une époque où le film noir est marqué par un réalisme de plus en plus poussé, The Sniper marque une étape importante dans l’histoire du genre. Tourné dans sa plus grande partie du point de vue du tueur, le film est criant de vérité à tous points de vue.
La plus belle idée est de montrer la naissance du tueur. Ce personnage de petit chauffeur solitaire et sans envergure, à qui personne ne prête réellement attention, est d’autant plus troublant qu’il est d’une banalité confondante. Arthur Franz est, il est vrai, parfait pour incarner cette banalité et cette transparence, cet homme tellement anodin que ses appels au secours successifs, avant son passage à l’acte, se heurtent à un mur d’indifférence.
Et par la même occasion, c’est la responsabilité collective qui apparaît en filigrane. Sans doute pas anodin de la part d’un cinéaste (Dmytryk donc) qui venait de faire son retour à Hollywood après un exil en Angleterre : il faisait partie des fameux « Dix d’Hollywood » et a fini par donner les noms de plusieurs de ses camarades, lors de la Chasse aux Sorcières.
Le film est âpre et réaliste, notamment dans sa représentation de la violence, toujours brutale et soudaine, fauchant les victimes dans des moments de totale insouciance. Dmytryk excelle aussi à filmer San Francisco, en faisant le lieu de tous les possibles et de tous les dangers.
L’enquête elle-même, menée par un flic vieillissant interprété par Adolphe Menjou, est moins convaincante, reposant sur un travail psychologique discutable, mais assez typique de l’époque. Du coup, le film perd un peu de sa puissance en cours de route, après une première moitié éblouissante. Mais il reste passionnant jusqu’au bout, jusqu’à la dernière image, très belle, gros plan d’un visage en larmes.