LIVRE : Mon tour du monde (A Comedian sees the world) – de Charles Chaplin – 1933-1934
En 1931, après avoir mis la dernière main aux Lumières de la Ville, Chaplin décide de s’accorder des vacances. A Londres d’abord, où il se livre à une sorte de pèlerinage sur les traces de sa jeunesse, comme il l’avait fait une première fois dix ans plus tôt. Puis à travers une Europe en crise, en Afrique du Nord, et en Asie. Son voyage durera près d’un an et demi, dont il raconte les moments les plus marquants dans ce livre, publié dès 1933-1934 en cinq épisodes, dans le magasine Woman’s Home Companion.
Plusieurs décennies avant sa belle autobiographie (qu’il me tarde de relire, du coup), Chaplin y révèle déjà un vrai talent d’écrivain. Il s’y livre aussi avec beaucoup de sensibilité, et une conscience fascinante de ce qu’il représente. Sans fausse modestie non plus : il y décrit les incroyables comités d’accueil qui l’attendent à peu près à chaque étape avec un joli mélange de gêne et de satisfaction, ne cachant même pas une certain surprise lorsque le comité est juste important, et pas démesuré !
Chaplin s’offre aussi quelques belles digressions sur son passé, ou sur sa découverte de la notoriété. Il émeut dans les premières pages avec le récit de cet amour de jeunesse dont il pensait retrouver la trace et dont il apprend qu’elle est morte. En quelques pages, ce mythe absolu révèle ses blessures, avec une pudeur extrême. L’émotion est alors immense, comme lorsqu’il raconte son retour dans cet orphelinat où il a passé deux années difficiles, mais qu’il retrouve avec un regard tendre et ému.
On sent que ce livre, comme ce voyage, est l’œuvre d’un homme qui a enchaîné les projets et les déconvenues amoureuses depuis dix ans, une star qui a besoin de se poser, de retrouver quelque chose de son identité profonde, de son humanité dans ce qu’elle a de plus simple, de l’enfant et du jeune homme qu’il fut en d’autres temps. Le lien qu’il a avec son enfance pourtant si difficile est centrale, dans la première partie du livre.
Au cours de son voyage, Chaplin rencontre aussi à peu près tout ce que le monde de 1931 compte de personnalités qui comptent. On apprend ainsi qu’il était avec Einstein lors de l’avant-première des Lumières de la Ville. On surprend aussi une discussion avec Gandhi autour des machines et de l’industrialisation, dont on se dit qu’elle a compté dans la volonté de Chaplin de tourner Les Temps modernes.
Après dix ans « enfermé » à Hollywood, Chaplin semble ouvrir les yeux sur les réalités du monde de 1931, découvrant des pays et des peuples en plein doutes, en pleine transition. Ce voyage change le regard du cinéaste, dont les films ne seront plus jamais les mêmes. Jusqu’à présent, Chaplin était intemporel. Désormais, des Temps modernes au Roi à New York en passant par Le Dictateur, il sera totalement ancré dans son époque.
C’est sans doute en cela que le livre est le plus fascinant : en ce qu’il dit de la maturation de Chaplin, qui lui-même n’en a sans doute pas encore conscience lorsqu’il écrit. Le lire en connaissant son histoire à venir ne manque pas de piquant. Comme lorsqu’il écrit : « Je n’ai jamais été attiré par la Suisse, ayant une aversion pour les paysages montagneux. » S’il savait…
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