Les Passagers de la nuit (Dark Passage) – de Delmer Daves – 1947
Troisième des quatre films tournés par le couple Bogart-Bacall, Les Passagers de la Nuit est le seul bancal dans le lot, loin en tout cas de l’aspect mythique des trois autres. Il ne manque pas de qualités ce film, il est même formidable par moments. Mais il y a une poignée de « mais » qui suivent, et qui pour la plupart repose sur un problème central.
Ce gros problème, c’est toute cette première partie filmée en caméra subjective, procédé qui n’a à peu près jamais vraiment fonctionné. Robert Montgomery l’utilisera pour filmer intégralement sa Dame du Lac cette même année, offrant une expérience tantôt fascinante tantôt pénible au spectateur. Delmer Daves ne l’utilise ici que partiellement, et pour une raison inhérente au scénario : Bogart y est un évadé qui va changer de visage pour passer inaperçu ; impossible donc de montrer son ancien visage.
Pourquoi pas, donc, surtout que Daves soigne ses cadrages subjectifs et n’envahit pas son film avec le procédé, qu’il n’utilise jamais de manière systématique. Mais on le sent contraint par ce choix esthétique, qui le prive en partie de la présence de Bogart. D’ailleurs, même lorsque Daves abandonne la caméra subjective, Bogart apparaît encore le visage couvert de bandelettes. Il faut à peu près une heure pour qu’enfin l’acteur soit réellement visible.
Et là, le film prend une nouvelle dimension. Qu’il ne tient d’ailleurs pas totalement sur la longueur. Le film est magnifique quand Bogart et Bacall sont face à face. Il y a alors une tendresse, un espoir qui domine la noirceur ambiante, et que l’on retrouve aussi avec quelques seconds rôles qui traversent le film : le chauffeur de taxi bien sûr, véritable ange gardien pour Bogart, mais aussi ce couple qui se forme dans le bus que veut prendre le héros vers la liberté.
Mais ces moments sont finalement assez rares. Le scénario emprunte des raccourcis qui font quand même tiquer un peu, et c’est le style de Daves qui permet de rattraper les errements de l’histoire avec un suspense fort bien maîtrisé, et ces rencontres fortuites et bienveillantes, inattendues dans le genre, qui sont clairement la signature du cinéaste.
Surtout, il y a le visage de Bogart, enfin visible, bouleversant comme jamais, parce qu’il est loin de ses habituels rôles de dur : c’est un homme qui semble laisser apparaître son amour. Et c’est très beau. Ce n’est clairement pas le plus grand Daves, ni le plus grand Bogart-Bacall. Mais c’est quand même franchement bien !
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