Zéro de conduite – de Jean Vigo – 1933
Après deux courts métrages documentaires muets, Jean Vigo passe à la fiction, mais pas encore tout à fait au long (pour ça, il faudra attendre son film suivant, et ultime, L’Atalante) : Zéro de conduite, qui marque clairement une date dans le cinéma français, n’excède pas les trois quarts d’heure.
Comme dans ses premières expériences derrière la caméra, Vigo continue à inventer un langage qui lui est propre, à la fois très ancré dans la réalité, et tellement expérimental qu’il en devient poétique. Tellement ancré dans la réalité, qu’il y a dans Zéro de conduite des aspects de cinéma vérité, et surtout, en germe, à peu près tout ce qui fera trente ans plus tard la Nouvelle Vague.
C’est ce mélange qui fait toute la singularité du cinéma de Vigo : cette impression de toucher la réalité des choses, dans une oeuvre formellement audacieuse, qui se permet toutes les expérimentations techniques, et toutes les dérives surréalistes.
Zéro de conduite est ainsi le portrait sans fard d’enfants quasiment surveillés, dans un internat aux règles trop strictes, voire castratrices. Mais on y voir aussi un surveillant (Jean Dasté), qui se met à imiter Charlot dans la cour sans raison véritable. Un ballon qui disparaît comme par magie. Ou encore, dans une séquence joliment poétique, un dessin qui s’anime sur une feuille de papier.
Dans le même temps, le film ose aborder des thèmes durs, parfois frontalement, parfois à mi-mots. L’un des professeurs est ainsi un être libidineux au comportement pour le moins suggestif, dont la manière de caresser la main ou la tête de l’un des élèves (visiblement une fillette, mais présentée comme un garçon) fait plus que simplement évoquer la pédophilie.
Cette jeunesse dont parle le film, avec des moments de légèreté feinte, s’apparente quasiment à une génération sacrifiée, privée des plaisirs enfantins par des adultes trop étouffants, et par l’extrême cruauté des rapports humains. Vigo a sans doute mis beaucoup de sa propre jeunesse difficile dans ce film, interdit pendant près de quinze ans : Zéro de conduite n’est sorti en salles qu’après la guerre, en 1946.