La Chaîne (The Defiant Ones) – de Stanley Kramer – 1958
« Ils doivent être des millions, et aucun ne se comprend ! » Tony Curtis et Sidney Poitier, prisonniers en cavale enchaînés l’un à l’autre, parlent des animaux qui les entourent, mais on jurerait que c’est d’eux-mêmes qu’il s’agit en fait : deux hommes que tout oppose dans ce Sud des Etats-Unis où leur couleur de peau respective représente une barrière infranchissable entre eux.
Le racisme qu’ils affichent l’un comme l’autre est de circonstance, et ne souffre aucune explication, aucune justification. Ils se détestent tout simplement parce que l’un est blanc, et l’autre et noir. « Negro » ? Ce n’est même pas une insulte, juste une vérité absolue. « Et il n’y a rien que tu puisses y faire », lance Curtis. Dans des circonstances « normales », ces deux-là ne se seraient pas parlé. Dans des circonstances exceptionnelles, ils auraient pu d’entre-tuer.
Sauf que tous deux courent (au sens propre) pour leur liberté, poursuivis par des policiers et leurs chiens. Et que la chaîne qui les relie par le poignet les oblige à courir ensemble, à se reposer ensemble, à affronter ensemble les danger, et à s’entraider plutôt que s’entre-tuer, parce que la survie de l’un dépend de celle de l’autre, tout simplement.
Le dispositif est habile, et la mise en scène est parfaite. Plutôt que de surjouer la haine et le rejet de l’autre, Stanley Kramer préfère filmer les doutes qui naissent dans le regard de l’un et de l’autre. Les interrogations que l’on devine aussi : au fond, pourquoi devrait-on se haïr ? Si les hommes ne se comprennent pas, c’est peut-être simplement parce qu’ils ne se parlent pas.
Dans le rôle du « Negro », qui d’autre que Sidney Poitier ? L’acteur allait devenir le symbole hollywoodien de la cause noire, et sa filmographie est parsemée de films (souvent excellents) dénonçant le racisme. Du coup, c’est plutôt Tony Curtis qui surprend. Loin de ses rôles de jeunes premiers, il est d’une intensité assez impressionnante, tout en laissant sourdre une émotion à fleur de peau.
En contrepoint de leur course en avant, le groupe de policiers est lui aussi joliment écrit, du flic va-t-en guerre joué par Charles McGraw au shérif débonnaire interprété par Theodore Bikel, deux personnalités qui disent beaucoup du rapport à l’autre souvent difficile. Dans ce road movie sans route, on croise d’ailleurs beaucoup d’êtres profondément seuls, de cet ancien bagnard que joue Lon Chaney Jr, à la mère de famille désespérément en manque d’amour (Cara Williams).
Finalement, la chaîne qui unit nos deux fuyards ressemble presque au symbole d’un nouveau départ, tourné vers l’autre. Au-delà du suspense très efficace, une belle leçon de vie.
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