Un jeu risqué (Wichita) – de Jacques Tourneur – 1955
Un écran large, de grands espaces désertiques, un soleil écrasant… Wichita est à peu près aux antipodes des films d’épouvante à petits budgets qui ont fait la réputation de Tourneur. Mais même avec de gros moyens, et avec le (superbe) Technicolor, Tourneur est un cinéaste immense, que l’on retrouve comme on l’aime : capable de faire naître la peur des scènes les plus anodines.
Ici, il lui suffit de filmer la douce Vera Miles sortir d’un hôtel au bras de Joel McCrea pour que l’on ressente instantanément le danger que rien d’autre ne vient appuyer. Plus tôt dans le film, une série de plans fixes sur un enfant, dont la chemise d’un blanc immaculé se découpe dans le nuit, devient insoutenable tant Tourneur suggère et repousse l’irruption implacable de la violence.
On le connaissait grand réalisateur de films d’épouvante, grand réalisateur de films noirs… Voilà qu’on le découvre aussi grand réalisateur de western, signant un modèle du genre, et ce dès la remarquable séquence d’ouverture autour du feu de camp. En tête d’affiche, une double-figure du genre : McCrea donc, dont la carrière est jalonnée de rôles mémorables d’hommes de l’Ouest ; et le plus célèbre de tous : Wyatt Earp, qu’il interprète dans le film.
Mais pas le Earp de O.K. Corrall, déjà entré dans la légende, que tant d’autres films immortaliseront. Wichita s’intéresse aux jeunes années du futur shérif de Tombstone : ses débuts d’homme de loi, après sa carrière de chasseur de bison. La chronologie de la vie de Earp est respectée, mais c’est à peu près tout : le film prend d’immenses libertés avec la réalité historique, pour jouer avec l’image légendaire que son simple nom véhicule.
Et ça fonctionne parfaitement, même si McCrea est sans doute un peu trop vieux pour jouer Earp à ce stade de sa vie. Mais l’acteur est parfait pour donner corps à cette volonté sans faille, qui ne demande qu’à rester en dehors des violences du monde, tout en refusant d’échapper à ses responsabilités. La vérité historique était sans doute nettement plus complexe, mais ce Earp-là est de ces figures qui ont fait la grandeur du western.