Allez coucher ailleurs (I was a male war bride) – de Howard Hawks – 1949
On ne dira sans doute jamais assez ce que la comédie américaine doit à Cary Grant. Comme John Wayne avec le western, ou Humphrey Bogart avec le film noir, Grant a en quelque sorte donné ses lettres de noblesse au genre. Il a en tout cas imposé un style qui lui est propre, et qui fait qu’une comédie avec Cary Grant est un genre en soi, avec son propre univers, son propre rythme.
Et dans ce genre, les films que Grant a tourné avec Howard Hawks constituent un ensemble d’une cohérence rare. Cette comédie-ci n’est pas la plus connue du duo. Elle l’est beaucoup moins que les trois classiques qu’ils ont tournés ensemble entre 1938 et 1940 (L’Impossible monsieur bébé, Seuls les anges ont des ailes et La Dame du Vendredi), ou que celui qu’ils tourneront en 1952 (Chérie, je me sens rajeunir). Elle n’en est pas moins formidable.
On peut parler d’une « comédie du remariage », thème très en vogue à l’époque. Ou même de slapstick. Mais c’est surtout une comédie irrésistible et souvent noire estampillée Hawks/Grant. Un petit bonheur qui oscille entre burlesque et critique grinçante de l’administration et de l’armée américaines.
L’étrange titre original vient du clou du film : à la fin de la seconde guerre mondiale, les particularités administratives obligent un officier français (c’est Grant, oui, qu’on a évidemment du mal à imaginer en frenchy, mais qu’importe) à se déguiser en femme pour quitter l’Allemagne et accompagner sa jeune épouse américaine (Ann Sheridan, pétillante) aux Etats-Unis.
Cette séquence n’arrive toutefois qu’après une longue déambulation dans l’Allemagne administrée par les alliés, pleine de rebondissements souvent très drôles, mais entièrement centrée sur les rapports passionnels entre Ann Sheridan et Cary Grant. Le schéma est connu : ils ne se supportent pas, ils sont obligés de cohabiter, ils tombent amoureux… Mais le ton que Hawks donne à cette histoire d’amour est unique.
Les rapports habituels hommes-femmes sont ainsi constamment inversés, avec un Cary Grant qui accepte de bon gré une passivité inattendue. C’est drôle, c’est élégant, c’est fin et c’est parfois fou. De cette folie qui permet de passer d’un pur gag à un sommet de romantisme en quelques secondes, à l’image de cette course folle en side-car qui se termine au cœur d’une meule de foin. Irrésistible.
* DVD dans la collection Hollywood Legends (Fox, ESC éditions), avec une analyse par le critique Jacky Goldberg.
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