Les Contrebandiers de Moonfleet (Moonfleet) – de Fritz Lang – 1955
Un trésor au fond d’un puits, une cachette de pirates dont l’entrée se situe dans une tombe, le fantôme de Barberousse qui hante le cimetière, un bandit sans foi ni loi qui révèle son humanité au contact d’un enfant… C’est une vraie fable que raconte ici Lang. La soixantaine bien tapée, le cinéaste qui abordait là la dernière partie de sa carrière (deux films américains seulement suivraient, avant son bref retour en Allemagne) signe tout simplement l’un des plus beaux films du monde sur l’enfance. Si ce n’est LE plus beau.
Incompris à sa sortie, le film a un côté un peu naïf dans la peinture de ses personnages adultes. Loin de la complexité habituelle que l’on trouve dans les films de Lang. Mais c’est tout simplement parce qu’avec Moonfleet, œuvre de commande, le cinéaste fait le pari d’adopter constamment le regard d’un enfant confronté aux premières épreuves du passage à l’âge adulte. Un parti-pris ambitieux et casse-gueule, qui donne un film d’une beauté renversante.
Dès les premières images, ce regard de l’enfant est clairement affiché: la caméra est alors à la hauteur de John Mohune, gamin perdu dans une lande baignée de brume, qui découvre un panneau indiquant la proximité de sa destination : Moonfleet, un nom presque irréel pour le lieu où il va entamer sa sortie de l’enfance en étant confronté à la fois à la violence et à la mort, et à un improbable amour paternel.
Mais qui va le plus changer ? Ce gamin qui découvre la pire nature humaine ? Ou ce père de substitution (le plus beau rôle de Stewart Granger, dont le regard porté sur l’enfant endormi est déchirant de nostalgie) que sa présence ramène à sa propre innocence perdue ? Les deux sans doute, et le film tend constamment vers ce moment où leurs trajectoires inverses vont se rencontrer, comme si leurs vies à tous les deux devaient atteindre leur point culminant dans cette cabane de pêcheur d’où chacun va partir vers son destin.
Le plus beau film sur l’enfance ? Un chef d’œuvre, en tout cas, et l’une des plus belles utilisations de décor qui soit. Cette lande reconstituée en studio, décor modeste que Lang filme comme s’il s’agissait d’un paysage sans fin grâce à la brume certes, mais surtout grâce à des angles de prise de vue qui donnent le sentiment d’immensité alors que, de fait, on ne voit jamais très loin.
Moonfleet est un modèle de mise en scène, sans doute le film qui exprime le mieux comment Lang, qui pouvait faire absolument ce qu’il voulait dans sa première période allemande, a su tirer le meilleur des contraintes hollywoodiennes, jusqu’à transformer un simple film de commande en une merveille dont on devine, quoi que Lang lui-même en dise, qu’elle est totalement personnelle. Déchirant et magnifique.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.