Casier judiciaire (You and me) – de Fritz Lang – 1938
Troisième film américain de Lang, et troisième (et dernière) collaboration avec Sylvia Sidney, sa belle actrice de Furie et J’ai le droit de vivre. La parenté entre ces trois films est assez évidente. Il y est à chaque fois question du regard des honnêtes gens sur ce qu’ils considèrent comme le Mal, et sur la difficulté pour ceux qui ont fauté d’avoir une seconde chance et de trouver leur place dans la société.
Pourtant, Casier judiciaire se distingue très clairement de ses précédents films. A vrai dire, il est assez unique dans la filmographie de Lang, qui s’aventure dans des eaux qu’il n’a quasiment jamais navigué. Car le ton est bien différent ici. Sans être une pure comédie qui fait rire, le film est quand nettement plus léger que à peu près tout ce que Lang a tourné avant ou après.
Il y a de la légèreté dans cette manière qu’il a de filmer le « gang » (au sein duquel on retrouve un tout jeune Robert Cummings, un Jack Pennick pour une fois pas chez Ford et pas muet, et quelques gueules qu’on aime bien : Roscoe Karns, Warren Hymer, ou le patibulaire Barton McLane. Un gang de pieds niquelés qui évoque moins les tueurs de Scarface que les attachants hors la loi de Up the River…
Lang n’est sans doute pas un spécialiste de la comédie. Mais il semble vouloir explorer de nouvelles voies, parsemant notamment son film d’interludes musicaux écrits par Kurt Weill, le complice de Brecht. Pas étonnant que l’atmosphère se dirige parfois vers L’Opéra de Quatre Sous : l’utilisation de la musique et des chansons, la manière de filmer les bas-fonds où évolue la pègre, et le ton par moments beaucoup plus sombres tranchent avec la légèreté du ton général.
Le film n’est pas totalement abouti : Lang navigue ainsi entre plusieurs genres sans savoir vraiment sur quoi se concentrer. Sur cette histoire d’amour contrariée entre deux anciens détenus (Sidney et George Raft). Ou sur ce patron de grand magasin qui n’emploie que des repentis sortis de prisons (Harry Carey, forcément sympathique). Ou sur la tentation pour le héros de reprendre le chemin des cambriolages…
Mais la mise en scène de Lang est là, inventive et audacieuse, comme la séquence d’ouverture : une chanson dont l’air et les paroles conduisent la caméra vers la main prise en flagrant délit d’une cleptomane dans le magasin, belle manière d’introduire le personnage de Sylvia Sidney et ses grands yeux tristes. Ou le très joli plan des mains de Sylvia et George qui se frôlent tendrement dans un escalator. Ou encore la déclaration d’amour drôle et touchante par la fenêtre d’un bus.
Mais la plus belle scène du film est aussi la plus étonnante, la plus inattendue : l’un des interludes « musicaux », sans autre musique que de courtes phrases scandées par les membres du gang, qui se retrouvent le soir de Thanksgiving et se remémorent leurs années de prison. Transparences, flash-backs stylisés, ambiance envoûtante… Le temps d’une scène, Lang casse les codes traditionnels de narration, et laisse imaginer comment il aurait pu transcender la comédie musicale, un genre qu’il n’abordera jamais.