Je ne regrette rien de ma jeunesse (Waga seishun ni kuinashi) – d’Akira Kurosawa – 1946
Ce n’est pas encore tout à fait le Kurosawa des grands classiques, mais ce film de jeunesse est déjà l’œuvre d’un grand cinéaste. Un cinéaste d’une sensibilité extrême, aussi attentif aux destins de ses personnages qu’aux soubresauts de l’histoire : son film est l’un des premiers tournés après la défaite de 1945 de son pays, et l’histoire se déroule durant la période la plus tourmentée de l’époque récente, de 1933 à cette défaite qui signifie la liberté retrouvée.
Je ne regrette rien de ma jeunesse… Le titre est martelé comme un mantras, alors que le destin de cette jeune femme bousculée par les affres de l’histoire raconte, au contraire, toute la difficulté de se défaire de cette jeunesse si belle, et si encombrante.
La scène inaugurale, bucolique et lyrique, se termine de la manière la plus brutale qui soit, par l’irruption d’un cadavre sanglant dans un paysage idyllique où ne régnait que la joie. C’est la réalité de l’époque qui, subitement, arrache la jeune Yukie à l’insouciance de sa jeunesse.
Il lui faudra du temps pour faire son choix entre un avenir « calme et un peu ennuyeux » avec l’un de ses prétendants, ou une vie plus incertaine et aventureuse, plus intense et engagée aussi, avec celui qu’elle aime vraiment, mais vers qui elle ne se résout pas à se tourner…
Ce destin est rude, et c’est le cœur serré que l’on vit avec elle les malheurs de Yukie (magnifique Setsuko Hara). Mais ce n’est pas un mélo que filme Kurosawa, qui jamais ne s’apitoie sur ce sort et sur ce qui aurait pu advenir sans l’instauration de ce régime militaire, et sans la survenue de la guerre. Au contraire, c’est une naissance à la vie qu’il raconte, celle d’une jeune femme qui prend en main son propre destin, et celui de son pays. Un film plein d’espoir, paradoxalement…