Une femme dans la tourmente / Tourments (Midareru) – de Mikio Naruse – 1964
Il y a toujours un bonheur immense à découvrir un cinéaste dont on sait d’emblée qu’il va nous accompagner longtemps… Je n’avais encore jamais vu de films de Naruse, et cette entrée en matière, avec une œuvre plutôt méconnue de sa filmographie, est un véritable choc. Quelle beauté, quelle émotion, et quelle pudeur dans ce portrait d’une femme qui, peu à peu mais avec cruauté, est mise aux portes de sa propre vie…
Elle est une veuve de guerre, qui vit depuis 18 ans que son mari est mort dans la maison de sa belle-famille, faisant prospérer le magasin familial avec courage et conviction. Mais quand son beau-frère revient de Tokyo après avoir plaqué son boulot, ce qu’elle croit acquis commence à vaciller.
D’abord, il y a ces commentaires qui saluent « le sacrifice » de ses 18 ans de travail, à elle qui pensait simplement être à sa place. Et puis ses belles-sœurs qui l’incitent à se remarier. Et enfin ce beau-frère plus jeune de dix ans qui lui déclare son amour…
Tout ce qui faisait sa vie vacille alors, la certitude d’être à la place qui est la sienne se transforme en doutes dérangeants, et tous les repères disparaissent. Comme un signe des temps qui changent, l’ouverture annoncée d’un nouveau supermarché dans leur petite ville menace jusqu’à l’existence de leur magasin de proximité.
Mikio Naruse accumule ces petits signes qui n’ont l’air de rien, mais qui bouleverse l’existence de Reiko, cette femme toujours jeune confrontée aussi bien à son passé qu’à son avenir. Des petits riens, vraiment, mais qui sont parfois d’une grande cruauté à l’image de cette réunion de famille toute en sourires mais qui s’apparente à une gigantesque baffe dans la gueule.
Il fallait une grande actrice pour donner corps à ces tourments. C’est Hideko Takamine, comédienne fétiche de Naruse depuis plus de vingt ans, absolument superbe, dont le regard rempli d’attentes, de détermination et de désespoir, n’est pas prêt de ne plus me hanter…
* Le film, jusqu’à présent inédit en DVD, fait partie des six longs métrages choisis par Carlotta pour accompagner sa formidable encyclopédie consacrée au cinéma japonais.