Le Gouffre aux chimères (Ace in the Hole / The Big Carnival) – de Billy Wilder – 1951
Décidément très sombre, Billy Wilder, au tournant des années 50. Tourné après Sunset Boulevard, ce Ace in the Hole est sans doute le plus cynique de tous ses films, une charge d’une rare violence contre… Contre quoi d’ailleurs ? Le comportement des journalistes prêts à manipuler la vérité (et la vie des gens) pour une bonne histoire ? Celui de leurs lecteurs avides de drames humains qui se précipitent sur les lieux d’une tragédie comme ils se rendent à une fête foraine ?
Et ce n’est pas une simple formule. Autour de la mine où un homme est coincé depuis des jours, c’est effectivement une véritable foire qui se forme, « grâce » aux arrangements avec la vérité d’un journaliste prêt à tout pour retrouver les grâces des grands journaux nationaux, lui qui se morfond depuis des mois dans un petit canard de province qu’il méprise avec toute la force de son dédain.
C’est Kirk Douglas, dans l’un de ses très grands rôles. Un sale type, qui ne se cache pas. Une vision détestable du journaliste, l’antithèse en quelques sortes du Bogart de Bas les masques. Un homme pourtant, à qui il faudra du temps pour réaliser que derrières les histoires qu’il livre au lecteur comme on nourrit un vautour, il y a des drames humains. Et qu’il y joue un rôle quoi qu’il en dise, lui qui répète sans cesse qu’il relate les mauvaises nouvelles, qu’il ne les crée pas…
Pas réjouissante, la vision de l’humanité de Wilder dans ce film. On y croise aussi des flics corrompus, des Indiens avides ou encore une épouse pas vraiment éplorée, tous bien décidés à profiter du drame. Et au milieu de ce grand carnaval, un homme enseveli et son père qui erre au milieu de la foule, toujours plus seul à mesure que cette dernière grandit. Les images de ce petit homme infirme claudiquant de dos au cœur de la foule sont peut-être les plus belles de ce film fort et cruel.