Le Miracle des Loups – de Raymond Bernard – 1924
Le titre intriguant vient d’une scène hallucinante : une jeune femme poursuivie par des tueurs à travers de vastes étendues enneigées est sauvée miraculeusement par une meute de loups qui dévorent ses agresseurs tout en l’épargnant. Filmée par Raymond Bernard, cette scène est d’une beauté et d’une force sidérantes, l’un des sommets de ce film historique à grand budget bourré de séquences d’anthologie.
Soyons honnête : tout n’est pas de ce niveau dans Le Miracle des Loups. Tout le début du film paraît ainsi un peu sage, et même empesé. On craint le pire alors, s’attendant à ce que Bernard signe une fresque trop lisse et sans folie autour de la lutte sanguinaire entre Louis XI et son rival, Charles le Téméraire. Mais la fresque historique prend une autre tournure lors d’une séquence clé, au cours de laquelle le poids de l’Histoire (avec un grand H) et les destins de deux personnages s’entremêlent…
Ces personnages, ce sont la future Jeanne Hachette, proche de Louis XI, et Robert Cottereau, soldat du Téméraire. Une sorte de variation sur l’éternel thème de Roméo et Juliette, histoire d’amour contrariée par la violence de l’époque, dont le destin les conduira au sommet de l’horreur, dans une tour en flamme lors du siège de Beauvais, extraordinaire morceau de bravoure qui semble avoir inspiré des générations de cinéastes, jusqu’à Peter Jackson pour ses guerres en Terre du Milieu…
Mais ça, c’est pour la fin du film. Non, là où le ton change radicalement, où Raymond Bernard insuffle enfin cette folie qui fait de son film un chef d’œuvre, c’est dans cette séquence où le fragile équilibre du royaume bascule. C’est le départ précipité des Nobles de Paris, fâchés par les décisions du roi. Visuellement, c’est magnifique, alternance de plans larges de la nuit parisienne, et de gros plans des sabots qui battent le pavé humide. En parallèle, Bernard filme la séparation déchirante de Jeanne et de son amant, bousculés par ce tournant inattendu de l’Histoire…
La tension ne retombera pas beaucoup, par la suite. Que ce soit dans les alcôves inquiétantes du pouvoir, ou sur les champs de bataille, le film souligne constamment la violence de l’époque. Une violence pas toujours suggérée, comme le prouve cette incroyable bataille filmée au plus près du sol et des soldats, où Bernard ne nous épargne rien de l’horreur des combats. Membres coupées, épées enfoncées jusqu’à la garde, visages défoncés… On est en 1924, et on n’a pas fait beaucoup plus impressionnant dans le domaine, depuis.