Huit ans depuis le deuxième film, treize ans depuis la fin de la série, quinze depuis le départ de Mulder des affaires non-classées…Dire que les fans de la première heure (j’ai déjà dit que j’en étais ?) étaient excités à l’idée de retrouver le couple qui a révolutionné l’univers des séries télé est un doux euphémisme. Rien que pour ça, pour cette attente fébrile du fan depuis la toute première rumeur de retour, cette dizième saison méritait d’exister.
Maintenant qu’elle est là, maintenant qu’elle a été vue, le verdict est pour le moins mitigé. Ce retour était-il mérité ? Oui, sans hésitation : retrouver Scully et Mulder, renouer avec le sous-sol du FBI, rouvrir les X-Files… Tout ça a évidemment un arrière-goût de madeleine, mais pas seulement : cette saison est plus qu’un simple prolongement.
Il y a le temps qui est passé bien sûr. Mulder le dit lui-même (dans l’épisode 3) : il est désormais un homme d’âge mur. Physiquement, il a d’ailleurs bien changé. Son visage un peu empatté, un peu engoncé même, semble fatigué. Et cette fatigue apparente, après avoir fichu un petit coup au moral du fan de toujours, donne une profondeur supplémentaire au personnage.
Scully aussi a quinze ans de plus. Toujours superbe, mais terriblement grave cette fois, ne s’autorisant que quelques parenthèses plus légères (dans l’épisode 3 toujours, la caution humoristique de cette nouvelle saison). Et pour cause : le souvenir de William, cet enfant qu’elle a eu avec Mulder (mais comment ???), est omniprésent dans la première partie de la saison. Les faux souvenirs montrant les moments que Scully et Mulder auraient pu partager avec lui semblent d’ailleurs être l’unique raison d’être de Les Enfants du Chaos (épisode 2).
Ce sont en tout cas les plus beaux moments de l’épisode : ce premier loner, prévu pour être l’épisode 4 (l’ordre de diffusion ayant été changé au dernier moment) n’est par ailleurs guère convaincant. Inutilement complexe, cet épisode ouvre également bien des portes, qui ne mènent finalement pas bien loin. Scully et Mulder ont repris du service, mais tout cela paraît étrangement désincarné, et monté à la serpe.
Cette impression apparaît dès le début de l’épisode 1 (La Vérité est ailleurs 1ère partie). Ce bon vieux générique passé, et une fois assimilé le plaisir des retrouvailles, ce montage hyper-serré saute aux yeux et surprend. Et sa conséquence surtout : un rythme qui ne prend pas, et une atmosphère qui n’a jamais le temps de s’installer.
Drôle de sensation, vraiment, qui ne laisse que des spéculations : ces épisodes ont-ils été écrits et préparés à l’arrache ? Ou cette forme de mini-saison est-elle trop étriquée pour l’imagination et l’ambition de Chris Carter ? Six épisodes ne suffisent sans doute pas pour instaurer une nouvelle mythologie comme il le fait, développer les nouveaux rapports entre Scully et Mulder (qui ne sont plus en couple, à propos), et offrir une poignée de monstres de la semaine et un épisode décalé.
On sent bien que Carter a voulu à tout prix remplir son cahier des charges, quitte à faire tenir dans le seul premier épisode toutes les infos qu’il a en tête. « Back in the days », pour reprendre une expression qui reviendra souvent dans cette courte saison, cela aurait demandé au moins un double-épisode. Inimaginable dans une saison si courte. Mais plutôt que de faire des choix, Carter tranche. A la hache. D’où un sentiment très étrange.
Les idées lancées ne sont pas mauvaises, mais l’atmosphère qui a fait la légende de la série ne prend pas vraiment. Les scènes se succèdent à toute vitesse… mais sans rythme, rendant l’intrigue difficile à suivre, et les personnages parfois incompréhensibles. Du coup on se désintéresse un peu de la nouvelle mythologie, des doutes de Mulder, pour ne plus regarder que le couple qui n’en est plus un, les ravages du temps et des remords sur leurs regards…
Et que dire de la réouverture des X-Files, espérée depuis tant d’années par les fans, et expédiée par un simple texto de Skinner (de retour lui aussi), et par une simple phrase du Smoking Man (de retour d’entre les morts) qui renvoie à une époque bénie pour la série… Un retour officialisé dans l’épisode 2 par la voix de Skinner hors champs, rajoutée au montage pour faire raccord, lorsque l’ordre de diffusion a été modifié. Tout ça sonne un peu cheap…
Finalement, il faut attendre Rencontre d’un drôle de type (épisode 3) pour retrouver le vrai, grand plaisir d’X-Files. Cet épisode « décalé » n’atteint pas les sommets de Prométhée Post Modern (saison 5) ou Le Seigneur du Magma (saison 3). Et il y a là un petit côté « passage obligé » qui manque de naturel. Mais pourquoi bouder son plaisir : Mulder retrouve sa flamme, Scully sa présence et son regard, et l’alchimie entre eux-deux est bien de retour, lors d’une séquence de motel qui rappelle les premières heures de la série…
Et Darin Morgan (scénariste et réalisateur) réussit à nous surprendre alors qu’on pense connaître toutes les ficelles de la série, avec cette variation amusante sur le thème du loup-garou, critique rigolarde de l’espèce humaine. Duchovny, qui paraissait par moments un peu momifié jusqu’alors, renoue avec son humour et une autodérision toute personnelle, s’amusant de son âge, et de son rapport avec les nouvelles technologies. La course-poursuite avec smartphone est assez hilarante.
Pour continuer sur cette belle lancée, Esprit vengeur (épisode 4) est une merveille, écrite et réalisée par Glen Morgan (le frère du précédent, également scénariste et réalisateur). C’est le meilleur « monstre de la semaine » (une créature qui apparaît mystérieusement, écartèle ceux qui profitent des sans abris, et disparaît tout aussi mystérieusement), et à vrai dire le meilleur épisode de la saison. Et de loin.
Mais c’est aussi un épisode intime et bouleversant, qui confronte Scully à un nouveau drame familial, et évoque joliment le souvenir de William, le fils de Scully et Mulder, confié à une famille d’adoption dans la saison 9, et qui hante constamment cette saison 10 d’où toute innocence semble bannie.
La relation entre Scully et Mulder se retrouve également au centre de l’épisode. Désormais, c’est le poids des souvenirs qui est le ciment de cette relation, et plus l’hypothèse de ce qui pourrait advenir.
Babylon (épisode 5), écrit et réalisé par Chris Carter, est plein de bonnes idées… mais se révèle à la limite du nauséabond, avec cette manière inexcusable de traiter le terrorisme contemporain avec un mélange de gravité (un peu) et de dérision, évacuant en deux plans le thème du racisme quotidien à peine ébauché, et résumant l’intégrisme religieux assassin à « des gosses manipulées » qu’on ne peut pas accuser de tous les maux.
Aborder un tel sujet était courageux. Carter lui-même ne l’avait d’ailleurs pas eu à la fin de la série originelle, n’évoquant jamais le 11 septembre alors que la saison 9 s’est achevée en 2002. Mais il foire totalement cette séance de rattrapage, et de la pire des façons qui soit.
Si encore l’aspect paranormal était passionnant, mais non : il se résume à Mulder avalant des champignons hallucinogènes pour communiquer avec l’un des kamikazes qui a pu être maintenu en vie… D’où lui vient cette idée ? Et pourquoi ? Et comment ? Don’t ask me… Du grand n’importe quoi.
Cela dit, il y a quelques passages bien sympathiques, à condition de les isoler du contexte : Mulder sous acide, Duchovny retrouve sa cool attitude légendaire. Mais même là, Carter profite de cette occasion pour faire revenir les Lone Gunmen, le temps de quelques plans muets et sans grand intérêt. Totalement frustrant et agaçant.
Cet avant-dernier épisode introduit un jeune couple d’agents du FBI, sorte de copie-conforme en plus jeune (et nettement moins charismatique) de Scully et Mulder, qui semble devoir prendre de l’importance dans la série : ils joueront également un rôle majeur dans le dernier épisode, tout comme Tad O’Malley, le lanceur d’alerte grâce à qui Scully et Mulder sont revenus dans l’épisode 1. Et leur présence trop… présente a un effet pervers : nous priver des face-à-face entre Scully et Mulder, qui restent le meilleur atout de la série.
Dans l’ultime épisode (La Vérité est ailleurs, 2ème partie), Carter fait brièvement revenir Monica Reyes (Annabeth Gish), pas bien servie la pauvre. On aurait aimé la voir jouer un rôle plus central… Avec Doggett, grand absent de cette saison 10. On retrouve la même ambition et les mêmes défauts que dans l’épisode 1. La mythologie avance vite, trop vite, trop fort, trop loin. Si bien que jamais cette histoire de contamination mondiale et d’ADN alien ne passionne comme passionnait la mythologie originale, si complexe soit-elle.
Cette dizième saison est, et de loin, la plus faible de toutes. Globalement une vraie déception. Et pourtant, les portes ouvertes sont assez prometteuses, au bout du compte. Scully et Mulder ont encore beaucoup à (nous faire) vivre ensemble. Et ce cliffhanger de folie ne peut pas rester sans suite : finir là-dessus serait, pour le coup, absolument impardonnable.
* Voir aussi la saison 1, la saison 2, la saison 3, la saison 4, la saison 5, le premier film, la saison 6, la saison 7, la saison 8, la saison 9, le deuxième film et la saison 11.