M le maudit (M) – de Joseph Losey – 1951
A quoi bon refaire M, le chef d’oeuvre de Lang ? A quoi bon, surtout, le refaire en respectant scrupuleusement sa construction, ses idées narratives et visuelles ? Le film de Losey n’est pas un remake plan par plan de celui de Lang, contrairement à ce qui a parfois été dit. Mais il n’en est quand même pas loin par moments : cette séquence d’ouverture pour commencer, copier-coller exact du film de 1933 transposé dans l’Amérique des années 50.
Difficile, donc, de se débarrasser de cette impression gênante d’une certaine vacuité dans cette entreprise (que l’on doit à un producteur ayant travaillé sur le film de Lang). Et pour le coup, on aimerait vraiment ne pas avoir à comparer ce remake avec son modèle. Car le film de Losey est, lui aussi, une splendeur.
Passons donc sur les idées narratives, qui viennent à peu près toutes du film de 1933. Mais la simple idée de transposer fidèlement cette histoire de tueur d’enfants de l’Allemagne de la République de Weimer au Los Angeles de l’après-guerre est en soit une idée assez fascinante. D’autant plus que la grande force du film repose sur la manière qu’a Losey de filmer la ville, et d’y placer ses personnages comme de simples éléments d’un grand tout.
Au rayon des bons points, il faut aussi souligner la richesse de certains personnages, qui passaient au second plan, voire étaient totalement inexistants dans le film originel. Le personnage du flic en particulier, obsessionnel et usé, formidablement interprété par Howard Da Silva. Ou celui de l’avocat alcoolique (Luther Adley) du chef de la mafia (Martin Gabel), qui ne retrouve son humanité qu’en défendant le tueur joué ici par David Wayne, le montrant comme un malade victime de la société.
C’est une différence majeure avec le film de Lang, qui n’essayait jamais de dédouaner le tueur interprété par Peter Lorre, malgré une troublante complexité. Ici, in extremis, le film se transforme en un plaidoyer à charge contre la société qui crée ses propres monstres. Pourquoi pas, mais la société que filme Losey semble nettement moins malade que celle de Lang…
Finalement, le film est une grande réussite sur le plan formel. Losey parvient à réinventer visuellement un film qui a déjà été génialement réussi vingt ans plus tôt. Et transpose les horreurs d’hier dans une Amérique contemporaine et ouvertement quotidienne (les séquences diurnes ont un aspect « réel » assez en avance sur son temps). On peut se poser la question du bien-fondé de l’entreprise. Ou prendre plaisir à cet excellent film noir remarquablement tendu.
* Blue ray d’excellente facture chez Sidonis/Calysta, avec d’intéressantes interventions de Bertrand Tavernier, François Guérif et Michel Ciment, et une interview d’Harold Nebenzal, producteur ayant débuté avec le film de Losey, mais dont le père avait produit le M de Fritz Lang alors que lui-même avait une dizaine d’années. L’entretien est assez anecdotique, mais il y a quelque chose de fascinant à écouter cet homme de 93 ans évoquer ses souvenirs de tournage en 1951, ses rapports difficiles avec Lang, et (un peu) ses souvenirs d’enfant à l’ombre des plateaux allemands…