Ton heure a sonné (Coroner Creek) – de Ray Enright – 1948
Randolph Scott traquant inlassablement l’homme responsable de la mort de sa fiancée, 18 mois plus tôt… Voilà un argument que n’aurait pas renié Budd Boetticher, futur réalisateur fétiche de Scott. Une décennie avant leur collaboration, ce western signé Ray Enright pose en quelques sortes les bases de ce que sera le personnage de l’acteur dans les années à venir : chez Boetticher, donc, mais aussi chez Andre De Toth avant ça.
Coroner Creek n’a sans doute pas la fulgurance des chefs d’oeuvre qu’enchaînera Scott à la fin de sa carrière. Tourné avec un procédé « Cinecolor » un peu pisseux, le film a un aspect très modeste la plupart du temps, Enright se contentant de faire le job, plutôt bien mais sans éclat. La plupart du temps…
Sauf que dans ce décor westernien assez confortable, bercé par une petite musique qui semble dire que le cinéaste ne prend pas tout ça très au sérieux, Enright nous assène des éclats de violence sidérants, et quelques trouvailles visuelles qui, tout à coup, bousculent le spectateur et le sort de sa légère léthargie…
Pas de grande effusion de sang à l’écran, ni d’images insupportables. Enright préfère jouer sur les ellipses, et ce dès la séquence d’ouverture, tuerie d’autant plus sauvage qu’on ne peut que la deviner à travers le visage trop calme d’une jeune femme dont on apprendra bientôt le terrible sort auquel elle a été confrontée.
Les scènes de violence ont toutes cette force sidérante, cette volonté du cinéaste de nous bousculer : Scott, la main broyée, qui réserve froidement le même sort à celui qui l’a mutilé ; le même Scott riant de voir son adversaire se brûler la main avec une poêle bouillante ; ou Scott, toujours, se servant d’un homme de main comme d’une protection contre le grand méchant, joué par George MacReady, qui vide son chargeur sur lui.
Ce cynisme, voire ce sadisme, est d’autant plus marquant qu’il survient dans un long métrage par ailleurs très sage, même si Enright ose y filmer un personnage de femme alcoolique, ce qui n’est pas si courant dans le cinéma hollywoodien de cette époque, spécialement dans le western.
Enright a-t-il volontairement soigné ce contraste à l’intérieur de son film ? Ou ne s’est-il simplement intéressé qu’aux séquences de violence ? Toujours est-il que, si bons soient les seconds rôles (Edgar Buchanan, Wallace Ford, Forrest Tucker… que du bon), et si malin soit le scénario, c’est bien cette violence que l’on retient, notamment celle de l’affrontement final, impressionnant concentré de trouvailles visuelles, fait de plongées et de contre-plongées, avec des points de vue et des hors champs inattendus, et une formidable utilisation du décor et des objets. Un petit chef d’œuvre à elle toute seule, cette scène…
* Le film est entrée dans la collection DVD « Westerns de légende » de Sidonis/Calysta, avec une courte présentation par Patrick Brion, et une autre beaucoup plus intime par Bertrand Tavernier.
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