Berlin Express (id.) – de Jacques Tourneur – 1949
C’est le premier film tourné dans l’Allemagne d’après la guerre, et ce n’est pas anodin. La vision des ruines de Francfort et Berlin est impressionnante et apporte une dimension dramatique fascinante à ce film noir qui ne ressemble à aucun autre.
L’intrigue est pourtant assez classique, sorte de variation autour d’Une femme disparaît, l’un des derniers films anglais d’Hitchcock. Un train qui entre en pays (plus tout à fait) ennemi, un homme qui disparaît, et des passagers qui semblent les seuls à s’inquiéter de cette disparition. Un brillant mélange de suspense et d’espionnage, intensément divertissant mais qui en dit long sur son époque.
Jacques Tourneur ne sacrifie aucun de ces aspects. Son film est une passionnante enquête pleine de rebondissements feuilletonnants, et le cinéaste de La Féline sait y faire lorsqu’il s’agit de faire naître la peur d’un décor. Mais c’est le contexte, inédit, qui donne une grande partie de sa force au film: les ruines fantomatiques d’une Allemagne vaincue peuplée d’êtres en errance, de familles à la recherche de leurs proches, de gens que la folie de leurs dirigeants et l’humiliation de la défaite ont obligé à vivre dans la marge, privés pour certains de leur humanité.
Berlin Express est un portrait d’une force sidérante de cette Allemagne-là, dans laquelle il est difficile de tirer un trait sur ces années de Nazisme : à la fois pour les étrangers encore habités par la guerre, et pour ces Allemands confrontés au manque. C’est aussi un film qui oscille entre cynisme et espoir : autour de la jeune Allemande interprétée par Merle Oberon, le groupe qui se forme pour enquêter est constitué d’un Américain (Robert Ryan, formidable comme toujours), d’un Français, d’un Anglais et d’un Soviétique.
Les quatre vainqueurs, qui se sont partagés l’Allemagne dans cet immédiat après-guerre, poussés à unir leurs forces et à fraterniser… Le conflit mondial à peine terminé, et alors que la guerre froide n’en était pas encore une, Berlin Express est un film d’une grande lucidité, qui se permet une (petite) note d’optimisme. Nouveau chef d’œuvre, pour Tourneur.
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