La Porte du Paradis (Heaven’s Gate) – de Michael Cimino – 1980
L’échec de La Porte du Paradis était-il prévisible ? Sans doute. Cimino, visiblement galvanisé par son ambition et par le triomphe de Voyage au bout de l’enfer, va clairement au bout de ses obsessions et ne fait rien pour aller chercher le public. La première partie de ce western à grand spectacle, impressionnant et violent, est ainsi aux antipodes de ce que l’on attend du genre : on est alors à Harvard, lors d’une cérémonie de fin d’études.
Difficile alors d’imaginer la fureur et la violence qui marqueront deux de ces étudiants, fils de bonne famille promis à un brillant avenir, que la vie séparera mais qui se retrouveront dans un contexte très, très différent. Pourtant, le souvenir de cette longue première partie, comme la séquence de chasse dans The Deer Hunter, hantera les personnages et les spectateurs durant tout le film, créant une atmosphère bouleversante de paradis perdu, que l’on retrouvera jusqu’à la conclusion, déchirante.
L’échec historique du film (faut-il rappeler qu’il est à l’origine de la faillite de United Artists ?) a eu un double effet négatif. D’abord, La Porte du paradis n’a longtemps existé que dans une version tronquée (Cimino a réalisé récemment un nouveau montage de 3h30, édité chez Carlotta) ; et on n’a souvent retenu que la démesure du projet, ses décors grandioses et ses milliers de figurants qui rappellent les immenses productions des années 20.
Et c’est vrai que Cimino ne se refuse rien, recréant pour une seule scène une ville de l’Ouest à la fin du 19ème siècle, grouillante de monde, dont on sent l’odeur et l’humidité de la boue omniprésente ; faisant appel à un nombre de figurants qui ne sera sans doute plus jamais égalé. Car l’échec du film a clairement marqué la fin d’une époque, ouvrant la porte des années 80, et la séparation qui sera de plus en plus claire entre le cinéma d’auteur et les grosses productions.
Visuellement, le film est splendide. Le goût de Cimino pour les grands espaces américains n’a peut-être jamais été aussi flagrant. Comme sa manière de confronter la beauté de cette nature à l’horreur imposée par les actions des hommes. Inspiré d’une histoire vraie, le film raconte ainsi le massacre programmé d’immigrants européens venus cultiver la terre, par un syndicat de tout puissants éleveurs.
Il y a le gigantisme de la production, mais il y aussi et surtout les destins d’une poignée d’hommes, tous prisonniers à leur manière de leur condition, et dont les efforts plus ou moins appuyés pour y échapper n’y pourront rien. Malgré leurs rêves de vie meilleure, Isabelle Huppert, Christopher Walken, Jeff Bridges et les autres semblent condamnés par la violence de cette époque qu’ils n’ont pas choisie. John Hurt, lui, est hanté par la violence de ses semblables, se dressant au milieu d’un massacre en regrettant la douceur de sa jeunesse et d’un séjour à Paris.
Quant à Kris Kristofferson, qui trouve là le rôle de sa vie, il symbolise à lui seul toute l’atmosphère du film : riche privilégié qui s’offre une vie loin de son monde, rêvant d’améliorer les choses et de trouver le bonheur, mais condamné à rester un spectateur impuissant de son époque… avant de retrouver son point de départ, bouclant ainsi la boucle.
La figure de la boucle n’est pas un hasard. La ronde lors de la fête d’Harvard (qui marque la fin d’une époque, celle des rêves de jeunesse), le cercle que les assaillants forment lors de l’ultime massacre (la fin d’une autre époque, et d’autres espoirs)… Cimino laisse clairement penser que tout espoir d’échapper à son destin est vain. La Porte du Paradis n’est pas exactement un film optimisme. Mais c’est magnifique.
* La version « réalisateur » est éditée chez Carlotta.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.