Finis Terrae – de Jean Epstein – 1928
On parle facilement de poème cinématographique à propos de ce film et des autres réalisations à venir de Jean Epstein. Mais le terme de « réalisme poétique » semble plus adapté, même si le style du cinéaste n’a rien à voir avec le genre que popularisera le tandem Carnet-Prévert quelques années plus tard. La poésie est bien là, mais au service de l’histoire. A moins que ce ne soit l’inverse.
Les expérimentations techniques d’Epstein, déjà au cœur de son cinéma depuis longtemps, sont toujours là : des jeux sur les surimpressions, les flous, la lumière… qui suggèrent l’état d’esprit des personnages. Mais Finis Terrae fait entrer le réalisateur dans son âge d’or. C’est avec ce film que son style trouve son apogée, cette manière de filmer le réel en évitant au maximum les fards habituels du cinéma, avec des plans qui soulignent constamment la beauté et la rugosité de la nature.
Pas un seul plan anodin dans ce chef d’œuvre que j’avais vu pour la première fois il y a plusieurs années, et dont des images ne m’avaient jamais quitté depuis : ces gros plans simples et dramatiques à la fois de ces pêcheurs de goémons qui, sur leur minuscule îlot rocheux, se disputent pour un couteau perdu. Montage extraordinaire qui annonce le drame qui se noue : une simple blessure à la main qui va s’infecter, et qui peut causer le pire sur ce bout de roche isolé où ces pêcheurs sont coupés du monde durant des semaines…
Des gros plans sur les gueules fascinantes de ces acteurs non professionnels, trouvés par Epstein parmi la population locale. De sublimes ralentis sur les vagues qui se brisent sur les rochers. Et ces plans hyper fabriqués où le moindre objet fait diagonale… Epstein croit en la force de ses images, et réussit à faire de son film une œuvre naturaliste au réalisme cru, autant qu’un poème visuel et une ode à la nature et à ces hommes et femmes de la mer dont on jurerait qu’il est l’un d’eux.
Pourtant, Epstein venait de découvrir cette région, dont il ne connaissait rien quelques semaines seulement avant le tournage. Il est en vacances en Bretagne, après avoir mis la dernière main à La Chute de la Maison Usher, lorsqu’il découvre la vie à Ouessant, sur cette île hors du temps. Ce sont ses habitants, leur rude mode de vie, la nature belle et inamicale, qui lui donneront l’âme de Finis Terrae, film tourné entièrement en décors naturels, dans des conditions qu’on devine compliquées.
Le résultat est l’un des très grands films muets français. Une expérience de cinéma absolument inoubliable, et unique.
• Le film figure dans le formidable coffret DVD édité chez Potemkine, regroupant de nombreux longs, courts et moyens métrages d’Epstein et beaucoup de bonus passionnants.
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