Quand la ville dort (The Asphalt Jungle) – de John Huston – 1950
Dans ses grands films noirs de cette période, John Huston a souvent évoqué l’inexorable marche vers l’échec de groupes d’individus hétéroclites. C’était le cas dès son premier film avec les improbables adversaires de Sam Spade (Le Faucon maltais). C’était aussi le cas dans l’exceptionnel Trésor de la Sierra Madre. Deux chefs d’œuvres absolus, auxquels on peut ajouter celui-ci, aussi abouti, sur un ton une nouvelle fois très différent.
Dès la séquence générique, c’est la manière dont Huston filme la ville qui surprend et donne le ton, dans ce formidable « film de casse ». Contrairement aux films noirs habituels, rien de romantique dans la ville, avec ses rues froides et ses entrelacs de fils électriques qui barrent l’horizon. Et les personnages ne sont pas de vrais citadins, mais des êtres comme enfermés dans cet environnement sans horizon, confrontés à leur propre solitude, et à leurs obsessions.
Ce sont ces obsessions qui mènent les personnages à leur perte : l’avidité pour l’un, le goût des jeunes femmes pour un autre, l’alcool, le jeu… Ou cette nostalgie de l’enfance qui fait tenir Sterling Hayden, sublime paumé qui n’a qu’une ambition : se débarrasser de la pourriture de la ville, pour reprendre ses mots, et retrouver ces instants précieux de l’enfance qui le hantent jusque dans son sommeil.
Pour lui (pour lui seulement), la libération semble à portée de main, et a les doux traits de Jean Hagen… Aussi paumées que les hommes, mais encore pures à leur manière, les femmes représentent ce qui aurait pu être, dans d’autres circonstances, avec d’autres envies, dans d’autres endroits. Autour de Louis Calhern, vieil homme riche et indigne, pathétique et magnifique, on trouve ainsi deux femmes : son épouse, qui ne vit que dans le souvenir de leur bonheur évanoui avec l’âge ; et une très jeune femme qu’il entretient et qui pourrait sa petite fille. C’est Marylin Monroe, pas encore superstar mais déjà troublante quand elle sussure « Uncle… ». Et déjà adorée par la caméra.
Si le film est aussi fort, c’est en partie parce que le moindre personnage existe d’une manière incroyable. Chez le chauffeur bossu et loyal jusqu’au bout (James Whitmore), chez le chef de gang qui refuse de porter une arme (formidable Sam Jaffe), chez le commissaire qui utilise la méthode forte (John McIntire)… Il y a une belle profondeur chez ces personnages. Une noblesse et une simplicité touchante aussi. Plutôt rares dans le genre…
John Huston n’invente pas le genre du « film de casse ». Il en respecte même scrupuleusement la construction : la préparation, le casse lui-même, les conséquences. Mais son scénario (adapté d’un roman de W.R. Burnett) est remarquable, et sa mise en scène est d’une fluidité et d’une précision impressionnantes, et réussit constamment à faire ressentir la douleur et les faux espoirs de ses personnages.
Jusqu’à un final éblouissant et bouleversant, dans une pâture baignée de soleil. John Huston a toujours su conclure merveilleusement ses films. Mais cette fin-là est peut-être la plus belle de toute sa filmographie. Et oui, ça se discute: va savoir si je ne penserai pas la même chose pour le prochain…
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