Quand les tambours s’arrêteront (Apache Drums) – de Hugo Fregonese – 1951
A peine une heure quinze, mais quelle tension, quelle intensité ! Cette série B fauchée de la Universal n’est pas uniquement une réussite impressionnante, c’est un pur chef d’œuvre, un western qui fait certes l’objet d’un petit culte en France, mais qui mériterait une toute autre renommée.
On voit bien que le film a été tourné pour un budget ridicule. On sent bien aussi que le choix s’est tourné vers des comédiens sympathiques, mais de seconde zone et bon marché. Rien à reprocher à Stephen McNally, mais l’acteur n’a pas la présence des plus grands noms du genre…
Pourtant, rien de tout ça ne vient réduire le choc ressenti à la vision du film. Cette tension incroyable qui pèse constamment, et cette impression de découvrir un western pour la première fois. La clé du succès ? Sans doute la complicité et la complémentarité entre le réalisateur Hugo Fregonese et son producteur, le grand Val Lewton : celui des chefs d’œuvre fantastique de Jacques Tourneur à la RKO.
Apache Drums est l’ultime film produit par Lewton, qui mourra avant même sa sortie. Et sans renier le talent de Fregonese, qui signe des compositions absolument sublimes (en partie lors de la longue séquence de l’église assiégée, où certains plans tiennent de l’imagerie religieuse) et une utilisation exceptionnelle du Technicolor, la patte de Val Lewton est flagrante, dès les premières scènes.
L’une d’elles, surtout, rappelle la présence au générique du producteur de La Féline. Chassé de la ville par un shérif désireux de se débarrasser des « mauvaises graines », Stephen McNally, joueur et homme de mauvaise vie, traverse le désert et réalise peu à peu le danger qui le guette : ces Indiens sur le pied de guerre qu’on ne voit pas, mais dont on devine la présence menaçante à travers ces longs plans sur les parois rocheuses qui entourent le personnage.
En quelques plans simples, sans l’ombre d’un artifice, le tandem Fregonese / Lewton crée une angoisse incroyable, un sentiment de menace et de terreur qui ne se calmera plus… Tout est comme ça dans ce petit western formidable, véritable ode à la communauté, dans ce qu’elle a de plus imparfaite : le film raconte aussi le voyage que fait McNally de l’individualisme égoïste et cynique au dévouement désintéressé pour la collectivité.
L’ouverture à l’autre, la tolérance : des valeurs omniprésentes dans ce film loin d’être aussi manichéen qu’il n’y paraît. Certes, c’est l’histoire d’une petite collectivité qui résiste avec bravoure contre l’attaque d’Indiens assoiffés de sang. Mais dès le générique, et à plusieurs reprises dans le film, ces Indiens sont présentés eux aussi comme des victimes : un peuple affamé et acculé, promis à une disparition certaine. Des êtres droits dont « la parole vaut plus que celle de la plupart des blancs », selon un officier de cavalerie.
Même ambiguïté chez les « héros ». McNally est un profiteur plus désireux de briller aux yeux de celle qu’il aime (Coleen Gray) que de sauver la communauté. Le maire, son rival (Willard Parker), est un être droit… mais prêts à s’autoriser quelques bassesses pour se débarrasser de lui. Quant au révérend, garant des bonnes moeurs, c’est son intolérance qui pousse à la mort les « danseuses » de music-hall. Et tout en étant capable de risquer sa vie pour la collectivité, il n’accepte pas de voir un Indien traité en égal. C’est Arthur Shields, figure fordienne qui trimbale sa gueule et son accent gallois dans une série de classiques.
Il y a bien quelque chose de Ford, dans ce film, que met en valeur la présence de Shields. Une influence qui se ressent dans la manière de présenter cette collectivité galloise (notamment lors d’un chant traditionnel qui doit concurrencer les percussions indiennes), et de promouvoir la communauté au détriment d’un individualisme forcené.
Sans angélisme, sans maniérisme, le film raconte la renaissance de cette communauté, dans la peur et dans le sang. Et l’irruption de la terreur dans ce cocon que représentait jusqu’alors la petite ville. Bourré de grandes idées, superbement filmé, et d’une intensité rarement égalée par un western, Apache Drums se termine par une longue séquence à l’intérieur de l’église où se sont réfugiés tous les survivants.
Sans la moindre tricherie : désormais, plus le moindre regard vers l’extérieur. Toute l’intensité repose sur l’attente, l’angoisse, les bruits que l’on perçoit, et les fenêtres trop hautes qui rougeoient de l’incendie qui ravage la ville. Sans rien qui viendrait atténuer le poids de cette attente, si ce n’est l’irruption soudaine de quelques Indiens couverts de peintures irréelles, apparaissant tels des fantômes par les fenêtres…
C’est tout simplement exceptionnel. Un chef d’œuvre, un western unique, à redécouvrir et à réévaluer d’urgence.
* DVD chez Sidonis / Calysta, dans l’indispensable collection Western de Légende.
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Je crois que j’ai vu ce film en 1974 et je m’en rappelle encore !
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