Lincoln (id.) – de Steven Spielberg – 2012
Spielberg le portait depuis des années, ce film consacré à Lincoln. Annoncé et sans cesse repoussé depuis plus de dix ans, comme d’autres projets chers à son cœur (une adaptation de Tintin, un quatrième Indiana Jones) qui, ce n’est sans doute pas un hasard, ont finalement vu le jour les uns après les autres.
Ce qui surprend en premier mieux dans cette grande reconstitution historique qu’est Lincoln, c’est à quel point elle prend soin d’éviter la surenchère spectaculaire. Spielberg a les moyens de ses ambitions, c’est une évidence. Sa reconstitution est méticuleuse et illustre parfaitement le gigantisme des enjeux. Les champs de batailles sont impressionnants, les hommes qu’on y croise, morts ou vivants, sont innombrables… Pourtant, on n’assiste pas à la moindre explosion de violence à l’écran, par le moindre coup de feu.
Spielberg a opté pour le strict point de vue de Lincoln et des politiques de Washington, et il s’y tient de bout en bout. De la guerre fratricide, de la lutte contre les horreurs de l’esclavage, on ne verra rien de plus que ceux qui, loin du front, loin des champs de coton, décident de l’avenir du pays. Un pari risqué pour un cinéaste plus habitué à l’action, mais qui fait tout le poids de ce film passionnant.
L’action se déroule début 1865, mais on jurerait que le film parle aussi de la démocratie telle qu’elle se pratique 150 ans plus tard. L’enjeu a beau être éminemment humaniste, les méthodes utilisées pourraient être celles d’un Frank Underwood, le congressman manipulateur de House of Cards. Spielberg a pour Lincoln une admiration totale, mais il n’en fait pas pour autant un chevalier blanc : plutôt un être réaliste prêt à quelques concessions avec la morale si le but à atteindre le mérite.
On s’attendait à être plongé dans la violence de la guerre de Sécession, comme on l’était dans l’horreur des plages du débarquement (Il saut sauver le soldat Ryan). On l’est par les manipulations et les tractations politiciennes… Déroutant dans un premier temps, mais finalement totalement fascinant.
Surtout, le film est le portrait d’un homme fatigué, assommé par le poids de ses décisions. Montré dans son intimité la plus simple, dans des postures vulnérables, dans des moments de relâchement, voire de communion avec ceux qui l’entourent, Lincoln est un être qui doute constamment, et qui se retrouve confronté au plus grand des dilemmes, dont Spielberg fait le thème central de son film : l’abolition de l’esclavage, ou la fin immédiate de la guerre et de ses tueries…
Lincoln est un film d’une intensité remarquable. Bavard, certes: tout repose sur la rhétorique, sur la passion, les empoignades verbales, les grandes vérités et les petits mensonges, et la voix posée et un peu tremblante d’un Daniel Day Lewis incroyable, qui impose une présence magnétique à Lincoln en en faisant pourtant le minimum. Génial, comme l’impressionnante distribution, de Sally Field à Tommy Lee Jones en passant par David Stratharin, tous magnifiques.
Aux antipodes des excès auquel il nous a habitués depuis Bill le Boucher, le grandiloquent « méchant » de Gangs of New York, Daniel Day Lewis est un Lincoln majestueux et intime, mythique et profondément humain à la fois. Mieux : il fait de son Lincoln un prolongement parfait de celui d’Henry Fonda dans Vers sa destinée, l’autre grand film lincolnien, qui racontait la jeunesse du futur président, et dont le film de Spielberg semble adopter l’ambition et le ton.
Ford et Spielberg partagent le même amour lucide et presque cynique de l’Amérique, la même foi en la démocratie, le même humanisme, et la même conscience de la fragilité de tout cela… Spielberg a mis du temps pour livrer ce Lincoln. Le temps qu’il lui fallait pour révéler sa nature de grand cinéaste classique. Son film est un chef d’œuvre.
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