Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari) – de Sergio Leone – 1964
Un cigarillo dont le goût et l’odeur le mettaient d’une humeur exécrable idéale pour le rôle, des bottes et un revolver empruntés au Rowdy Yates de sa série Rawhide, un poncho dégoté chez un fripier, une barbe de cinq jours pour gommer son côté trop lisse, et la plupart de ses dialogues effacés pour privilégier l’intensité de son regard… En quelques plans, en prenant le contre-pied de son image de jeune premier télévisuel, Clint Eastwood profite d’un tournage estival en Espagne pour entrer dans la légende.
Sans lui, le film aurait sans doute quand même marqué l’histoire du western et du cinéma italien. Sans doute. Mais le succès aurait-il été le même ? Le génie de Sergio Leone, déjà frappant mais pas encore aussi spectaculaire que pour Il était une fois dans l’Ouest, aurait-il été aussi bien mis en valeur ? Pas sûr, pas sûr…
Pour une poignée de dollars est un film mythique, c’est aussi l’histoire d’une rencontre qui a scellé le destin de l’acteur, du réalisateur, du western, et de la production cinéma des dix ans à venir en Italie. On ne va pas revenir sur la naissance du « western spaghetti » et sur les centaines de films qui ont fait vivre le genre, n’égalant que rarement la réussite de cette « trilogie du dollars » qui se poursuivra avec Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la brute et le truand.
On a souvent dit que Leone avait dynamité les codes du western hollywoodien. Ce n’est pas tout à fait vrai. Toute l’imagerie westernienne traditionnelle est bien là, dans cette histoire d’un cavalier mystérieux qui débarque dans une petite ville rongée par la guerre que se livrent deux familles puissantes. Ce que Leone apporte, c’est sa volonté de rendre palpable la poussière, la violence et le sang.
C’est aussi son style inimitable mais si souvent copié : cette manière de dilater le temps et d’alterner plans très larges et très gros plans (une logique qu’il poussera encore plus loin dans ses westerns suivants). Plus que l’intrigue, adaptée du Yojimbo de Kurosawa, c’est cette approche visuelle que Leone emprunte au cinéma japonais, filmant les duels aux pistolets comme les combats des films de sabre.
Pour une poignée de dollars est un film entièrement tourné vers le plaisir du spectateur, quitte à prendre quelques libertés avec la vraisemblance. Cette logique est frappante dans la séquence de cavalcade qui suit la délivrance de Marisol et de sa famille. L’enjeu pour « l’homme sans nom » (qui en a un : Joe) est de prendre de vitesse les sbires de Gian Maria Volonte entre une maison et une autre, qui paraissent relativement proches, mais entre lesquelles les personnages se lancent dans une course poursuite interminable à travers la montagne et le désert. Pour le seul plaisir de créer un suspense effectivement très efficace.
C’est aussi dans ce film qu’apparaît la vocation masochiste de Clint Eastwood, battu avec sadisme par les hommes de Volonte et laissé pour mort, avant de se relever et de réapparaître lors d’un duel, comme à l’abri des balles. La naissance d’une autre figure récurrente du cinéma eastwoodien, qui ne cessera de revenir d’entre les morts, de L’Homme des hautes plaines à Pale Rider en passant par Le Retour de l’Inspecteur Harry.
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