Vengeance à l’aube (Dawn at Soccorro) – de George Sherman – 1954
On entre directement dans le vif du sujet avec ce petit western absolument formidable, qui commence là où beaucoup d’autres se terminent : par un grand règlement de comptes aux pistolets entre deux clans adverses. Un gunfight qui rappelle curieusement celui de O.K. Corrall, et ce n’est sans doute pas un hasard : toute la première partie s’inspire clairement du mythe immortalisé par Ford (notamment), et particulièrement de Doc Holiday, dont Ben Wade, le joueur, ami du shérif et as de la gâchette interprété par Rory Calhoun (qui a rarement été aussi bien qu’ici) est une copie quasi conforme jusqu’à la toux inquiétante.
Sauf qu’ici, George Sherman et son scénariste George Zuckerman (un habitué des films de Douglas Sirk) décident de commencer par ce qui est annoncé d’emblée par une voix off comme le moment de bravoure du film. Et cette curiosité donne le ton d’une série B remarquable du début à la fin, que Sherman met en scène avec une inspiration de chaque plan, avec un sens du cadre et de l’atmosphère qui est loin d’être évident dans tous ses films. Dans Vengeance à l’aube, il est au sommet de son art et signe un western formidablement tendu, et constamment étonnant.
La grande réussite du film repose aussi beaucoup sur la manière avec laquelle le scénariste joue avec les poncifs du genre, qu’il accumule avec gourmandise pour mieux les détourner. D’où des personnages à la fois très familiers et totalement originaux. A commencer par le héros lui-même, à qui son médecin prescrit du repos dans le bon air de la montagne, tout en sachant qu’il n’irait nulle part et continuerait à se tuer à petits feux. Sauf que non : les funérailles que le docteur lui avait prédites, Wade/Calhoun les transforme en une fête d’au-revoir, bien décidé à changer de vie et à se mettre au vert.
Dès lors, tous ceux qu’il rencontrera auront ce petit quelque chose de différent. La jeune femme innocente que le destin conduit dans un saloon mal fâmé (Piper Laurie, émouvante et toute en retenue) affiche clairement sa volonté de jouer ce jeu qui n’est pas le sien. Le shérif débonnaire (Edgar Buchanan, formidable) n’est pas le lâche habituel, mais un homme pragmatique, honnête et qui plus sobre. Le gunfighter qui a juré de tuer le héros refuse de l’abattre sans lui laisser une chance de se défendre, et voyage longuement face à lui, attendant que l’autre porte une arme.
Cela donne quelques scènes d’attente rares dans un film de cette durée (à peine une heure vingt), conçu pour être projeté en double-programme. Mais ce sont ces scènes au cours desquelles les drames et les tensions se nouent qui font tout le poids de cette petite production, et de cette réussite majeure.
* Difficilement visible et très peu connu jusqu’à présent, le film est désormais disponible en DVD dans la collection Westerns de Légende de Sidonis/Calysta. Avec en bonus les présentations habituelles, et très enthousiastes pour le coup, de Bertrand Tavernier, Patrick Brion et Yves Boisset.
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