La Traversée de Paris – de Claude Autant-Lara – 1956
Le chef d’œuvre d’Autant-Lara, cinéaste très très inégal dont une grande partie de la filmographie est pour le moins dispensable. Cette adaptation (par Jean Aurenche et Pierre Bost, deux scénaristes qui connaissent bien leur sujet) d’un roman de Marcel Aymé est un portrait au vitriol, d’une extrême cruauté, de la France de l’Occupation.
Dans La Traversée de Paris, il ne s’agit pas, pour une fois, d’opposer occupés et occupants, mais de filmer ces Français qui ont fait leur beurre de l’occupation, et ceux qui ont révélé leur part d’ombre, les aspects les plus indéfendables de l’âme humaine. Bref, une galerie pitoyable croisée par Bourvil et son comparse d’un soir Gabin, lors de leur traversée de Paris pour une livraison de charcuterie destinée au marché noir.
Dans ce Paris nocturne, ils ne sont pas nombreux à trouver grâce aux yeux d’Autant-Lara et de ses scénaristes. Avec un point d’orgue : la séquence dans le bistrot où Bourvil et Gabin vont se réfugier, peuplé d’êtres lâches et mesquins. Le fameux « Salauds de pauvres » lâché avec le plus grand des mépris, n’est finalement qu’une formule pour mettre des mots sur l’humanité dans toute sa laideur.
Ces « salauds de pauvre » qui ont choisi le repli sur soi et l’égoïsme le plus radical sont indéfendables. Mais qui l’est dans ce film ? Bourvil, chauffeur de taxi privé de travail par l’occupation qui survit en participant au sordide marché noir ? Ou Gabin, riche artiste qui ne prend part à cette virée nocturne que pour tromper son ennui ?
Le personnage le plus « propre », le plus sensé, c’est lui. C’est vers lui que va la sympathie du spectateur lorsqu’il fait face aux mesquins, aux profiteurs, à ce « Jambier, 45 rue Poliveau » interprété avec déjà beaucoup d’excès par Louis De Funès. Pourtant, que risque-t-il ? Que fait-il là, à s’amuser au côté des pauvres qu’il méprise tant ?
Et qui est le plus cynique ? Bourvil, qui affiche un dédain feint pour la terre entière ? Un sale type, oui, mais un pauvre type surtout… Ou Gabin, tellement à l’abri qu’il n’aura même pas à affronter les conséquences de ses actes.
Il y a des moments très savoureux dans La Traversée du Paris. Et Claude Autant-Lara n’a peut-être jamais été aussi inspiré, signant une mise en scène élégante dont le noir et blanc profond et les décors semblent faire le lien entre le réalisme poétique et le cinéma français des années 60. Une traversée cynique et inoubliable…
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