Les Mains d’Orlac (Mad Love) – de Karl Freund – 1935
De Karl Freund, on retient surtout l’impressionnante carrière de directeur de la photo (du Dernier des Hommes de Murnau à Key Largo de Huston). Entre 1932 et 1935, ce grand nom du cinéma allemand a aussi réalisé une poignée de films à Hollywood, dont on n’a retenu que le premier (La Momie, classique du cinéma d’épouvante avec Boris Karloff) et le dernier : Les Mains d’Orlac.
Ce film construit autour de la figure fascinante de Peter Lorre (qui fait ses débuts hollywoodiens avec ce film, après sa parenthèse anglaise avec Hitchcock) s’inscrit alors dans un sous-genre horrifique très en vogue durant les années 30 : la figure du savant fou, popularisée par Frankenstein et dont Bela Lugosi va se faire l’un des spécialistes.
Un grand pianiste victime d’un accident et dont les mains doivent être amputées. Un chirurgien génial qui décide de lui greffer celles d’un tueur en série. Une femme trop belle entre ces deux grands hommes… Pour la psychologie des personnages, le film a de quoi faire sourire. Lorre, surtout, semble dans certaines scènes ne pas savoir quoi faire de son personnage : un psychopathe absolu, ou un homme poussé vers la folie par sa passion et son génie ?
Pourtant, le film est une merveille, un sommet du genre. Pour Freund, le cinéma est avant tout une affaire d’images. Et même s’il néglige quelque peu l’intrigue à proprement parler, on ne va pas lui en tenir rigueur ! Y a-t-il un seul plan anecdotique dans ce film ? Pas sûr… Les jeux d’ombres, les cadrages angoissants, l’importance des premiers plans… Tout, dans les images de Freund, semble faire sens, et en dire plus sur le drame qui se joue que les dialogues ou l’histoire elle-même.
Un exemple : installé dans le train dont l’accident à venir scellera son destin, le pianiste essuie la buée de sa vitre pour voir arriver le fameux tueur entouré par des policiers. La main qui essuie la vitre, au premier plan, paraît démesurée, et semble déjà ne plus être celle du pianiste. Un plan tout simple, mais qui crée un malaise inexplicable à ce stade…
Freund joue avec les codes du spectacle et du grand-guignol. Pas uniquement pour les scènes de théâtre, baroques et expressionnistes, qui préfigurent avec élégance le cinéma d’horreur européen des années 60. Mais aussi en confondant d’une manière troublante la violence et le crime, et le spectacle. Le tueur en série est un artiste de cirque à qui un passant demande un autographe ; la victime est lui-même un artiste, tout comme sa fiancée ; et le savant fou se constitue un angoissant musée de cire…
Yeux globuleux, crâne rasé et travestissement improbable… Peter Lorre en fait des tonnes. Sa présence est pour beaucoup dans l’atmosphère si étrange et fascinante du film. Sa rencontre avec Karl Freund était une évidence.
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