Maigret tend un piège – de Jean Delannoy – 1957
Il y a comme une évidence à voir Gabin endosser l’imper de Maigret, ce qu’il fait ici pour la première fois (… l’affaire Saint Fiacre et Maigret voit rouge suivront), comme il y avait une évidence à voir l’acteur incarner Jean Valjean. Il était comme ça dans les années 50, l’ancien prolétaire idéal d’avant-guerre : l’incarnation parfaite d’une certaine culture populaire française.
Comme Valjean version Gabin, Maigret version Gabin doit autant à son interprète qu’à l’imagination de Simenon. Pas que le film soit totalement irrespectueux de l’œuvre originale, bien au contraire : d’une certaine manière, Gabin EST Maigret, comme aucun autre interprète ne l’a été ou ne le sera après lui. Une force tranquille, une présence, une masse qui se déplace avec lassitude et écœurement dans un Paris de troquets, de petites gens et de paumés, où la violence est crue et les motifs plus cruels encore.
Maigret est Gabin, ou le contraire. Les doutes du commissaire de papier ont disparu au profit de la certitude omnisciente imposée par la présence de la star. Mais cette petite « trahison » n’a aucune importance. L’essentiel est bien là : Maigret est une sorte de catalyseur qui révèle la vérité des personnages, leurs secrets bien enfouis, les mesquineries de chacun. Et Gabin impose son rythme au film par son jeu si caractéristique.
Jean Delannoy, cinéaste méprisé par la Nouvelle Vague, signe un beau film d’atmosphère, un polar qui sait prendre son temps et se perdre dans les ruelles obscurs où le pêché reste tapi. Sa mise en scène est d’une grande efficacité, suggérant la violence sans rien édulcorer. Loin de l’image que ses détracteurs en donneront dans les années suivantes.
Bien sûr, Delannoy scénariste est épaulé par Michel Audiard, qui signe des dialogues magnifiques (« Vous êtes méchantes, mais surtout vous êtes bêêêtes !! »). Mais l’adaptation a aussi l’intelligence, malgré la présence de Gabin, de ne pas transformer le commissaire en surhomme. Grand psychologue et grand observateur, il reste jusqu’au bout un révélateur, laissant le travail d’enquêteur à cet inspecteur Lagrume trop rapidement élevé au rang de ridicule. C’est lui qui fait véritablement avancer l’enquête pendant que Maigret, las, balaye d’un revers de la main la preuve qu’on lui présente : « On verra ça plus tard ».
Bon réalisateur, bon scénariste, Delannoy se révèle aussi grand directeur d’acteur. Passons sur la prestation de Gabin, formidable mais absolument typique : tous les seconds rôles sont exceptionnels, qu’ils soient en valeur comme Jean Desailly en fils trop aimé ou, dans un autre registre, Annie Girardot en femme effacée, ou en retrait comme le débutant Lino Ventura, impeccable en jeune flic.
Un sans faute pour cette première aventure du commissaire Maigret Gabin. La qualité française avait du bon…
* Voir aussi Maigret et l’affaire Saint Fiacre et Maigret voit rouge.
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