Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago) – de David Lean – 1965
David Lean est un grand cinéaste, que ses envies de grandeur n’ont jamais coupé de l’humanité la plus intime. Docteur Jivago est l’un de ses très grands films, un immense (dans tous les sens du terme) mélodrame que sa sensibilité et son lyrisme transcendent trois heures durant, trois heures qui filent comme ce souffle irrésistible de l’histoire qui balaye tout sur son passage.
Ceci étant dit, c’est aussi dans ce film que se trouve, sans doute, le passage le plus indéfendable de toute sa filmographie. Le plus détestable, et même honteux : cette ultime séquence des retrouvailles ratées entre Julie Christie et Omar Sharif, pour laquelle Lean, mystérieusement, laisse soudain libre cours à sa grandiloquence en oubliant toute la retenue et l’humilité qui font pourtant du film une merveille… jusque là.
Cette scène laisse un goût d’autant plus amer que durant trois heures, c’est du grand cinéma leanien que le réalisateur de Lawrence d’Arabie nous offre. Une fresque adaptée d’un roman anti-soviétique qui raconte les ravages d’un système niant l’individu et perdant ainsi toute humanité, dans la Russie de la guerre et de la révolution.
Il s’agit bien d’une charge féroce contre le régime communiste, mais ce n’est pas la politique qui intéresse Lean, qui se concentre sur les destins croisés de deux êtres balayés par cette folie ambiante, et sur les regards incroyables de ses deux acteurs principaux, victimes impuissantes et tragiques.
Les scènes épiques ne manquent pas, et Lean les réussit toutes magistralement. Pourtant, c’est dans les détails que le film touche au sublime. Dans ce lent et long voyage en train à travers l’immense plaine glacée surtout, parsemée de purs moments de grâces. Cet instant où la porte s’ouvre et révèle une sorte de tombeau de glace. Ou, surtout, ce bouleversant regard que Klaus Kinski, prisonnier politique grande gueule et arrogant, pose sur la tendresse d’un vieil homme envers sa femme. Peut-être le plus beau moment du film.