L’Homme irrationnel (Irrational Man) – de Woody Allen – 2015
En pleine forme, le Woody Allen. A quelques jours de son 80ème anniversaire, le cinéaste ne lâche rien en terme de rythme de tournage (son “Fall project” arrive chaque année à l’heure), et surtout en terme d’inspiration. Après l’aérien Magic in the Moonlight de la fournée 2014, le revoilà de retour dans la veine hitchcockienne qu’il retrouve régulièrement et qui lui a valu quelques-uns de ses sommets.
On pense bien sûr à Match Point, sorti il y a tout juste dix ans après une période un peu creuse, avec lequel cet Homme irrationnel a quelques traits communs… dus essentiellement à l’influence de l’œuvre de Sir Alfred. Il y a cette fois encore quelque chose du Crime était presque parfait, mais aussi de L’Inconnu du Nord Express, dans cette histoire d’un homme qui décide de commettre un crime parfait en tuant un individu qu’il ne connaît pas…
Mais on est bien chez Woody, et le film ne repose pas sur la mécanique du crime ou sur le suspense (même si la dernière partie nous incite clairement à retenir notre souffle). Car ce néo-meurtrier est une sorte de condensé de tout le cinéma allenien. Prof de philo dépressif, séducteur (malgré lui), vivant dans une société grand-bourgeoise intellectuelle qui prend un plaisir fou à théoriser sur un crime (un autre point commun avec Hitchcock)…
Dans le rôle, Joaquin Phoenix, qui en fait généralement des tonnes, a rarement été aussi sobre. Un comble pour un personnage qui descend une quantité impressionnante de vieux single malt écossais (une manière totalement dégueulasse de traiter le whisky, à propos). Une sorte de version amorphe et au bout du rouleau des personnages chers au cinéaste, dont la première apparition, à moitié ivre et muet dans le bureau de la directrice d’un collège, est irrésistible.
On sourit souvent, et la musique très allenienne donne clairement un air de comédie, que vient confirmer la présence toujours pleine de vie d’Emma Stone, que le cinéaste retrouve pour un deuxième film consécutif (une première pour lui depuis Scarlett Johansson). Mais il y a un décalage étrange et réjouissant entre le ton du film et ce qu’il raconte, plus pathétique encore peut-être que Match Point.
En terrain connu, sur des thèmes et avec des personnages que l’on croit connaître par cœur, Woody Allen réussit une nouvelle fois à nous surprendre. Vivement l’automne prochain…