Margin call (id.) – de J.C. Chandor – 2011
Les premiers pas de la crise racontés du point de vue d’une grande banque d’affaires à la Golden Sachs… Sur le papier, c’est maux de crâne assurés et promesse d’une balade guère enthousiasmante au milieu d’un nid de traders avec jargon boursier et yeux rivés sur des écrans incompréhensibles. Et à l’écran : une merveille, fascinante virée dans un univers (pourri) en déliquescence.
J.C. Chandor, dont c’est le premier long métrage, fait preuve d’une maîtrise assez incroyable dans sa manière de raconter son histoire. Le pari est pourtant osé : parce que qui, au fond, comprend réellement tout ce qui se passe dans cet immense immeuble, alors que la crise menace ? Mais Chandor prend un parti pris génial : on ne maîtrise pas ce langage abscond ? Pas grave, les dirigeants de la boîte eux-mêmes sont dépassés.
Ou comment, sans rien enlever de la complexité de la chose, Chandor transforme l’immoralité du monde de la finance en une dramaturgie parfaitement épurée, qui se résume pour l’essentiel à la confrontation et aux dilemmes moraux d’une dizaine de personnages : grand boss ou petit trader, « tueur » ou « victime ». C’est là que le génie de Chandor est le plus frappant : dans sa manière de suivre chacun des personnages sans jamais donner l’impression d’en sacrifier un. Un formidable ballet allant de l’un à l’autre avec une force, une intelligence et une évidence rarissimes.
Il y a les comédiens, tous formidables (Kevin Spacey, Demi Moore, Paul Bettany, Jeremy Irons, Stanley Tucci, Zachary Quinto, Simon Baker…). Mais il y a surtout cette tension qui s’installe dès la première séquence, qui pèsera sur tout le film : l’apparition d’un sordide cortège chargé « d’alléger » l’étage d’une grande partie de son personnel. Une image extrêmement forte qui pose d’emblée l’aspect inhumain et absurde.
Critique et lucide, Chandor fait la part belle aux plans fixes sur des visages inquiets, des regards réduits à une forme d’avidité. Il y a bien quelques lueurs d’espoirs : les doutes de Kevin Spacey avant de plonger le monde dans une crise forcément cruelle ; la nostalgie d’un Stanley Tucci qui se souvient de son passé d’ingénieur, lorsqu’il fabriquait des ponts et que son métier servait à quelque chose… Mais dans ce monde-là, les illusions ne sont pas faites pour durer.
Et c’est une claque que nous file Chandor dès son premier film. Ses deux suivants, All is lost et A most violent year, seront tout aussi enthousiasmants. C’est l’un des cinéastes les plus passionnants du moment qui naît avec ce film.
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