3h10 pour Yuma (3:10 to Yuma) – de Delmer Daves – 1957
Le film commence par l’attaque d’une diligence. Une scène de western on ne peut plus classique, sauf que celle-ci est totalement dépouillée de tout semblant de spectaculaire: la diligence arrête sa course parce qu’elle est bloquée par un troupeau de bétail, et les voleurs sont là, immobiles, à peine menaçants. Simplement là. A leur tête : Glenn Ford, étonnamment calme, presque las. Non loin de là, un fermier sans histoire observe la scène avec ses enfants sans même faire mine d’intervenir, ou de se cacher : c’est Van Heflin, dont on devine qu’il est le « héros » de ce western au rythme déroutant.
Las : c’est le sentiment que donnent les deux protagonistes dans ce face-à-face à l’intrigue proche d’autres grands classiques du genre. On pense au Train sifflera trois fois bien sûr. Mais avec une différence de taille : la manière dont le temps est perçu. Ici, il s’écoule lentement, minant le moral de personnages qui, tous, rêvent d’autres choses. La richesse et la superbe du bandit pour Van Heflin le fermier honnête mais pauvre. La douceur du foyer pour Glenn Ford le tueur calme mais fatigué.
Ces deux-là sont forcés de cohabiter après que Van Heflin a accepté d’escorter Ford jusqu’au train le plus proche en dépit du danger que représentent ses complices. Parce que la prime qu’il touchera peut lui permettre de sauver sa ferme. Mais surtout parce que tenir son rôle d’homme intègre lui permettra de sauver l’image que ses enfants et sa femme ont de lui. Entre eux, une sorte de respect mutuel, presque de l’admiration, mais toujours teintée de lassitude: tenté par la vie de l’autre, chacun sait qu’il est trop tard pour changer de voie.
3h10 pour Yuma, tourné dans un noir et blanc admirable (signé Charles Lawton Jr) qui joue constamment sur les longues ombres portées pour souligner le poids du temps, est un chef d’œuvre, un de plus pour Daves qui aura décidément marqué l’histoire du western. N’ayant pas lu le roman d’Elmore Leonard dont le film est adapté, impossible de dire si le ton adopté par Daves doit quelque chose à l’écrivain ou non. Mais ce ton, le rythme lent, presque pesant font du film un western unique en son genre.
La tension monte, jusqu’à la haletante séquence finale. Mais Daves évite jusqu’au bout tout sensationnalisme. Son suspense repose sur l’irruption de la violence dans des situations quotidiennes, chez des hommes et des femmes qui n’ont rien de tueurs ou d’aventuriers. Des êtres incroyablement normaux, confrontés à l’échec et à la peur. Les acteurs sont tous formidables: Van Heflin confronté au doute et à l’effroi face à sa propre impuissance, Glenn Ford dont la superbe se fissure lentement et presque imperceptiblement.
Et quel final! Sans jamais perdre son cap, Daves fait encore monter la tension et nous offre l’affrontement tant attendu sans rien sacrifier de ses ambitions, pur concentré de suspense et d’émotion. C’est absolument magnifique.
* Carlotta a édité deux westerns de Daves avec Glenn Ford, dans de belles éditions blue ray : 3h10 pour Yuma et le plus méconnu Cow-boy, avec des bonus passionnants, notamment une évocation (en deux parties) de la carrière de Daves par son fils Michael.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.