Drôle de drame – de Marcel Carné – 1937
Du grand n’importe quoi : c’est ce qu’ont dû se dire les spectateurs décontenancés (et pas bien nombreux) qui ont découvert le film à sa sortie. Et c’est bien un délire total auquel se livrent Marcel Carné et Jacques Prévert, tandem sur le point de signer une série impressionnante de classiques absolus, nettement moins drôles que ce chef d’œuvre à la folie débridée, pleine de personnages improbables interprétés par des comédiens en état de grâce.
Mais derrière cette folie, c’est une critique acerbe de toutes les tares de la société française contemporaine qui se cache à peine dans ce film pourtant adapté d’une histoire anglaise qui se déroule en 1900 en Angleterre, dans un Londres de carte postale. A peu près tout le monde se retrouve à un moment ou à un autre sous les feux du tandem Carné-Prévert : la bourgeoisie, avec une Françoise Rosay immense qui préfère endosser l’habit d’une meurtrière présumée plutôt que d’avouer que ses domestiques sont partis ; l’église, avec les sermons dénonciateurs d’un Louis Jouvet au passé coquin…
Si le film a aussi bien passé l’épreuve du temps, c’est parce qu’il ne répond à aucun effet de mode, aucune figure imposée, aucun compromis. Un film d’une liberté absolue, et d’une folie sans limite, qui en dit autant sur son époque qu’un autre chef d’œuvre incompris à sa sortie, La Règle du Jeu de Renoir.
Impossible de dresser un état des lieux complets des images mythiques du film. Mais chacun des personnages fait partie du panthéon du cinéma : Louis Jouvet en kilt lui remontant jusqu’aux genous, Michel Simon en amoureux des mimosas, Jean-Pierre Aumont en livreur de lait qui raconte des histoires sordides, Jean-Louis Barrault en tueur de bouchers fleur bleue…
Et puis il y a ce face-à-face génialissime entre Michel Simon et Louis Jouvet, avec ce dialogue fabuleux dont on ne se lasse pas, et qui n’a rien perdu de sa force.
- « Qu’est-ce qu’il a ?
- Qui ?
- Votre couteau.
- Comment ?
- Vous regardez votre couteau et vous dites bizarre, bizarre, alors je croyais que…
- Moi j’ai dit bizarre, bizarre ? Comme c’est étrange. Pourquoi aurais-je dit bizarre, bizarre ?
- Je vous assure cher cousin que vous avez dit bizarre, bizarre.
- Moi j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre ! »
Génial, génial. J’ai dit génial !
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