20 000 jours sur Terre (20,000 days on Earth) – de Ian Forsyth et Jane Pollard – 2014
Il aura mis du temps, Nick Cave, avant de se retrouver au cœur d’un film. Pourtant, il y a toujours eu quelque chose de profondément cinématographique dans la musique du génial rockeur-bluesman. Pas uniquement dans sa manière de raconter des histoires dans ses chansons, mais aussi et surtout dans l’atmosphère qu’elles dégagent, et dans les émotions dramatiques qu’elles créent.
D’ailleurs, l’Australien a souvent flirté avec l’écran. Il y a vingt ans déjà, sa chanson « Red Right Hand » était utilisée dans une scène-clé de la saison 2 de X-Files. Tout récemment, c’est curieusement la même chanson qui sert de générique et plante l’ambiance de la série Peaky Blinders. Deux exemples, deux séries majeures de leur temps…
On l’a connu scénariste, aussi, prolongeant enfin au cinéma son univers sombre (The Proposition). Cette fois, il est à la fois l’auteur, l’acteur, le compositeur, et le sujet d’un film aussi envoûtant que ses plus grandes chansons. On ose à peine parler de documentaire, avec 20 000 jours sur Terre, même s’il s’agit bien du portrait d’un artiste qui se libre et se laisse découvrir comme jamais…
Mais de quelle manière ! Loin de tout ce qu’on peut imaginer et de tout ce qu’on a pu voir dans le domaine du documentaire musical, le film est une sorte d’errance dans le cerveau et dans le cœur de Nick Cave. Fiction ou réalité ? Les réalisateurs et leur sujet ne cachent pas qu’il y a beaucoup d’invention dans ce qui est dit et montré. Pourtant, entre les moments volés et les images parfaitement « mises en scène », la sensation de découvrir la vérité la plus sincère et la plus nue de Cave est grande, souvent troublante.
L’histoire du film commence de manière assez classique : le chanteur demande aux réalisateurs de filmer ses sessions d’enregistrement de son dernier album (le sublime « Push the sky away »). Les images qui en sont tirées sont magnifiques, et auraient pu donner un remarquable making-of. Avec la bénédiction de Cave, Iain Forsyth et Jane Pollard décident d’en faire tout autre chose : un portrait intime qui évite consciencieusement tous les passages obligés du portrait intime, tous les codes d’une manière générale…
Un long dialogue avec un psy (authentique), une étonnante séquence dans les archives personnelles du chanteur (avec de vrais archivistes), des rencontres avec ses fidèles musiciens… Les réalisateurs créent des moments d’intimités rares et souvent bouleversants. Ils invoquent aussi d’inattendues rencontres, quasi-fantômatiques, lors fascinantes virées en voiture sous la pluie de Brighton.
Il y a l’acteur Ray Winstone (vedette de The Proposition, qu’il a écrit), avec qui il confronte son approche d’artiste. Il y a aussi le guitariste Blixa Bargeld, ancien fidèle parmi les fidèles qui l’a quitté il y a quelques années, et qu’il retrouve dans une gêne apparente qui dissimule mal une vraie tendresse réciproque. Il y a surtout la chanteuse Kylie Minogue, avec qui il a fait un petit tube en 1997 (le très beau « Wild the roses grow », sur l’hallucinant album « Murder Ballads »), et dont l’apparition est curieusement émouvante.
Dans ses rapports aux autres, à son passé et à ceux qui l’entourent ; dans sa manière de se livrer dans de longues tirades ou dans de soudains silences ; dans le rôle central donné à sa musique… 20 000 jours sur Terre est un film absolument magnifique. Un documentaire sur Nick Cave ? En tout cas une oeuvre qui porte bel et bien la marque du plus grand chanteur du monde. En tout cas depuis Johnny Cash, l’une de ses inspirations dont l’ombre plane également sur le film.
* DVD chez Carlotta, avec de beaux suppléments, notamment une série de scènes coupées montrant Cave au travail, et un duo live du chanteur avec Kylie Minogue.