Rendez-vous avec la peur (Night of the Demon) – de Jacques Tourneur – 1958
Quinze ans après son triptyque produit par Val Lewton à la RKO, Jacques Tourneur, qui a entre-temps touché à tous les genres et souvent avec une grande réussite, revient au thème de la peur avec cette production anglaise qui prend le contre-pied des films d’horreurs de la Hammer alors en vogue (comme La Féline prenait le contre-pied des films d’épouvante de la Universal).
Mais si Rendez-vous avec la peur reprend le thème central de La Féline, Vaudou et L’Homme Léopard, les recettes utilisées sont assez radicalement différentes. Dans ses classiques des années 40, Tourneur jouait essentiellement sur l’invisible, sur la suggestion, sur les ombres… Ici, la peur est souvent marquée par l’irruption d’éléments troublants dans le quotidien. Une main sur une balustre, un clown qui entre soudainement dans le cadre, une fenêtre qui s’ouvre à grands bruits.
Des effets faciles ? Sur le papier, cela y ressemble, mais à l’écran, ces « éclats de peur » imparables servent surtout à installer un trouble de plus en plus tenace dans l’esprit du spectateur, et dans celui très cartésien du personnage central. Dans le rôle, Dana Andrews est fabuleux. Parce qu’il incarne une sorte de certitude simple et virile, et que sa fausse impassibilité laisse transparaître des fêlures et des doutes qui vont s’agrandissant.
Scientifique lancé dans une croisade contre l’ésotérisme et autres sciences occultes qu’il considère comme de la charlatanerie, il évolue dans un monde d’autant plus familier et quotidien qu’il est la plupart du temps filmé en plein jour, loin des zones d’ombre inquiétantes que la nuit procurait dans la trilogie RKO de Tourneur. C’est dans ce contexte qu’il est plongé dans un monde de cauchemar qui prend aux tripes et dont on ne sort pas intact.
Reste une question à laquelle je suis incapable de répondre clairement : avoir montré le monstre plutôt que le suggérer était-il une bonne idée ? D’un côté, le monstre (imposé par la production à un Tourneur très réticent), qui apparaît dès les premières minutes, paraît bien kitsh, et sa démarche n’est pas loin de faire sourire. Mais le fait d’afficher clairement la réalité de ce monde a priori invisible contribue à renforcer le malaise qui accompagne les certitudes de Dana Andrews. Avec ou sans monstre, Rendez-vous avec la peur est un chef d’œuvre.
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