Queen and Country (id.) – de John Boorman – 2014
On avait perdu de vue ce bon vieux Boorman, cinéaste souvent passionnant qui s’est fait une réputation de spécialiste de la violence (Délivrance, Excalibur…), et que l’on retrouve dans sa veine autobiographique et intime. Vingt-sept ans après Hope and Glory, où il évoquait sous le couvert de la fiction ses souvenirs d’enfant dans l’Angleterre de la seconde guerre mondiale, Boorman retrouve son alter ego Bill Rohan, devenu un jeune homme de 19 ans.
C’est l’âge de l’éveil à la vie, des premiers émois sexuels, l’âge où les destins se jouent… Boorman se raconte en jeune homme insouciant et un peu inconséquent, qui rêve du grand amour, de cet amour inaccessible qui prend la forme d’une nuque sublime dans une salle de concert. Il raconte le choc de cette insouciance avec les réalités du monde, lorsque le jeune homme est appelé sous les drapeaux, pour servir durant deux ans dans une caserne où il doit former des jeunes hommes comme lui, moins instruits, et sur le point de partir pour la Corée.
De la réalité de la guerre, Bill n’en verra pas grand-chose. En tout cas pas avant qu’il ait lui-même expérimenté la désillusion, la rage et les poids de la responsabilité. Dans Queen and Country, John Boorman aborde un thème mille fois évoqué au cinéma : celui du passage à l’âge adulte. Mais il le fait avec une fraîcheur et une sensibilité qui ne peuvent qu’être la signature d’un jeune cinéaste.
Pourtant, Boorman a 81 ans. Nostalgique, il l’est sans doute, mais à la manière d’un homme plein de vie, heureux de renouer avec sa jeunesse. Son film évoque les grands événements qui ont marqué ces années-là : des souvenirs de cinéphile souvent (la sortie de Rashomon, l’évocation de Casablanca…), mais aussi l’angoisse de la guerre froide, le sacre d’Elisabeth II…
Avec ce beau film, léger et profond, Boorman réussit à confronter un regard d’enfant et celui d’un homme en devenir : celui de Bill, qui quitte son cocon familial en dehors du monde (physiquement : un improbable îlot au milieu de la Tamise, sans téléphone, où la télévision fait son arrivée, premier lien concret avec le vrai monde), pour se confronter à des hommes abimés par la vie.
C’est l’évolution de ce regard que raconte le film, en particulier avec le personnage de l’officier incarné par un David Thewlis méconnaissable et hallucinant dans le rôle d’un homme que guette la folie. D’abord grotesque et presque comique, puis pathétique et déchirant. L’adolescent insouciant à peine sorti de l’enfance est devenu un jeune homme conscient de ce qui l’entoure.
Une belle leçon de vie, et un vrai bonheur de cinéma, profond et réjouissant à la fois. De quoi espérer que, malgré son âge et ses déclarations, Boorman se plonge de nouveau dans ses souvenirs et retrouve une nouvelle fois Bill Rohan…
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