Etonnant western que ce film tardif de Dwann, l’un des derniers de l’auteur de Quatre étranges cavaliers. D’une trame on ne peut plus classique du genre (le fils d’un shérif assassiné de sang froid débarque dans la petite ville où a eu lieu le drame pour venger la mort de son père), Dwan tire une sorte d’OVNI cinématographique, qui oscille constamment entre les figures incontournables du genre et l’inattendu.
Dans le rôle du héros vengeur, Scott Brady est parfait, bloc de fureur intérieure et totalement déterminé, figure qui aurait beaucoup du personnage eastwoodien à venir, s’il n’y avait cette curieuse séquence d’introduction dans le bureau des services secrets américains, étonnante et un peu trop lourdement explicative, mais qui crée d’emblée une atmosphère différente.
Car ce qui intéresse Dwan dans ce film, c’est visiblement moins l’action et l’intrigue elle-même que les tourments intérieurs de ses personnages. A commencer par Brady bien sûr, dont la soif de vengeance est constamment confrontée aux paroles apaisantes de ceux qui ont bien connu son père et qui l’appellent à ne pas céder aux pièges de la haine. Il y a quelque chose de profondément apaisé dans ce film, même si Dwan cède au final aux attentes du spectateur en lui accordant l’exutoire qu’il espère…
Le plus important finalement dans ce film, c’est ce qui ne compte pas vraiment dans l’intrigue. Le personnage d’Anne Bancroft, jeune métisse élevée dans l’amour de son prochain et qui n’aspire qu’à vivre. Celui du révérend qui ne peut accepter que la violence qu’il abhorre tant apporte des solutions à ses problèmes. Et, surtout, deux images récurrentes tout au long du film.
La première : le portrait d’une danseuse très sexy immortalisée dans un mouvement plein de vie, accroché dans la mission tenue par le révérend. Qui est-elle ? S’agit-il d’Anne Bancroft elle-même, ce qui ferait du révérend un père d’adoption aux pensées particulièrement trouble ? Ou révèle-t-il un passé caché de cet homme d’église dont on nous a bien précisé qu’il n’avait pas été ordonné ? Les multiples plans fixes sur ce tableau, planant comme le souvenir d’une autre vie, donnent une dimension particulière à cet homme de bien plus trouble qu’il n’en a l’air.
Et puis il y a ce jeune homme par qui le malheur est arrivé : l’apprenti-pistollero qui passe la quasi-totalité du film à espionner les autres personnages, par la grille d’une fenêtre dans la mission, ou par la vitrine du saloon. Un pistolet à la main évoquant son probable destin de tueur, ou jouant avec une corde qui semble sceller son propre sort… Son regard trahit une envie d’en découdre, constamment contrariée par des éclairs de peur. Le personnage évoque un Robert Ford, l’assassin de Jesse James, et Dwan s’amuse à nous laisser croire que c’est vers un destin semblable qu’il se dirige.
Pourtant, le jeune homme reste jusqu’au bout étranger à l’action, curieux personnage dont l’aspect trouble s’impose comme un contrepoint au message de paix et de justice qui émane du film.
Jusque dans les détails, le film surprend : dans la manière dont Brady entre dans l’action, revolver déjà au poing, ou dans celle avec laquelle Dwan tire le meilleur de son budget réduit, utilisant ses décors eux aussi réduits à leur minimum (les rares paysages sont en fait des toiles peintes sur lesquelles se reflètent les ombres des acteurs) pour resserrer le drame humain et créer une sorte de promiscuité entre tous les personnages. Surprenant jusqu’aux toutes dernières images, avec un générique du fin qui me semble unique dans son genre, chaque personnage venant faire face au public dans l’encadrement d’une fenêtre, comme des comédiens de théâtre qui viendraient saluer le public…
Inédit en salles en France, et jusqu’à présent introuvable, La Ville de la Vengeance est bien plus qu’une simple curiosité. C’est un western déroutant, passionnant et assez fascinant.
• Le film fait partie de la dernière fournée des Westerns de Légende de l’éditeur Sidonis, avec la traditionnelle et toujours passionnée présentation de Patrick Brion, ainsi que celle d’un Yves Boisset qui n’apporte pas grand-chose d’intéressant.