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Pluie noire (Kuroi ame) – de Shohei Imamura – 1989

Classé dans : 1980-1989,IMAMURA Shohei — 17 novembre, 2014 @ 17:13

Pluie noire

Comment filmer l’indiscible ? Comment rendre palpable le summum de l’horreur et de l’inhumanité ? Imamura s’attaque à un sujet immense : l’utilisation de l’arme atomique sur Iroshima, sujet tellement inhumain, tellement extrême, qu’il n’a que rarement été évoqué frontalement au cinéma. Lui n’élude pas la violence et la souffrance physique : on a bien droit à d’insoutenables images de « la bombe », des corps disloqués, des visages déformés, des enfants comme figés, des êtres qui seraient grotesques si elles n’étaient pas aussi horribles…

Mais le cinéaste fait surtout le choix de rester constamment à hauteur d’hommes, en suivant le destin d’une poignée de personnages frappés directement par l’horreur, par ces scènes de fin du monde dont ils ont été les témoins « privilégiés » : un couple de Japonais « normaux » et leur nièce, qu’ils ont élevée, qui traversent les ruines encore fumantes sans la moindre protection, inconscients de faire le plein de cette radioactivité dont on sait qu’elle les condamne à une longue agonie…

Imamura filme la bombe H du strict point de vue de ces Japonais anonymes : comme la mort et l’horreur qui font irruption dans leur quotidien, sans que rien ne les y ai préparé. Et sans que personne ne les accompagne réellement et ne les aide à en affronter les conséquences. Les images d’horreur reviennent régulièrement, comme des cauchemars qui viennent hanter les personnages, comme gravés à jamais sur leurs rétines. Mais c’est surtout les effets de cette arme ultime sur leur vie que filme Imamura. L’incompréhension, l’ignorance absolue, et la conscience de plus en plus vive de devenir des parias, marqués par la « pluie noire ».

Rien de spectaculaire, dans ce que montre Imamura : des êtres fatigués qui observent impuissants leur propre décomposition ; une communauté qui enterre ses morts les uns après les autres, comme une triste routine dont chacun sait qu’elle les touchera bientôt ; une belle jeune femme dont les projets de mariage sont condamnés les uns après les autres, comme un sinistre running gag, qui serait comique s’il n’était aussi tragique. Imamura filme les espoirs déçus de cette amoureuse pleine de vie comme il filmerait une comédie romantique. Mais le rire reste constamment en travers de la gorge, entravé par l’horreur de ces destins sacrifiés.

Pluie noire est un film précieux mais sans illusion, comme ce fol espoir qui vient clore le film. Ce paysage figé que l’on scrute en espérant y voir apparaître un arc-en-ciel. Bien illusoire, bien sûr : comment tirer des leçons si tout le monde se désintéresse des victimes ? Prix spécial mérité au festival de Cannes en 1989.

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