Cartel (The Counselor) – de Ridley Scott – 2013
Loin de ses grandes productions souvent dominées par le bruit et la fureur, Ridley Scott se glisse totalement dans l’univers de Cormac McCarthy, co-producteur du film, qui signe ici son premier scénario original. A vrai dire, l’écrivain sort d’une quasi pré-retraite, puisque son dernier roman (La Route qui lui a valu le prix Pulitzer) remonte à 2006. Depuis, McCarthy a atteint une autre dimension, avec l’adaptation de son dernier livre, et surtout celle de No Country for Old Men.
Cartel évoque souvent le film des frères Coen : on y retrouve les grandes étendues du désert américain, une violence viscérale et des personnages totalement déglingués. Mais la parenté entre les deux films reste relative, et trompeuse comme l’est la participation de Javier Bardem. L’acteur en fait beaucoup, comme souvent, mais ses apparitions renvoient immanquablement au personnage de No country… qui lui colle à la peau, et dont on a du mal à l’en dégager.
Ce n’est sans doute pas le choix de casting le plus heureux de ce film à l’affiche impressionnante : Brad Pitt en trafiquant de drogue trop détaché (des retrouvailles avec Scott, qui lui avait donné son premier petit rôle marquant dans Thelma et Louise), Cameron Diaz en croqueuse de diamants qui révèle peu à peu une complexité inattendue, et Penelope Cruz cantonnée à un rôle de jolie fiancée douce et sexy.
Mais c’est une nouvelle fois Michael Fassbender qui impressionne par sa présence et sa capacité à donner une intensité à tous ses personnages, aussi difficiles soient-ils. On s’en était rendu compte avec son rôle de négrier ignoble dans 12 year’s a slave, et même avec celui de l’androïde dans Prometheus, le précédent Scott : Fassbender est l’un des plus grands acteurs du moment.
Son talent éclate dès la première scène, longue étreinte amoureuse très dialoguée, dont on sent que McCarthy a voulu faire un grand moment brillant et irrévérencieux, qui l’était sans doute sur le papier, mais qui semble horriblement artificiel à l’écran. Fassbender, pourtant, y est particulièrement juste, capable de sortir les dialogues les plus improbables avec une conviction qui emporte l’adhésion.
C’est en tout cas le principal défaut du film : on sent que McCarthy s’écoute écrire, multipliant ces dialogues décalés à la Tarantino qu’il étire souvent inutilement. Le résultat, c’est une première heure qui manque de rythme et qui peine à donner corps aux personnages, d’autant qu’on reste constamment loin de l’action, comme si le trafic de drogue dont on ne voit que le voyage d’un camion, fil rouge qui revient constamment, était un cadre irréel sans rapport direct avec ces personnages.
Mais cette approche est le cœur même du film, et illustre parfaitement le destin de Fassbender, avocat qui se laisse attirer par l’argent facile de la drogue, sans réaliser que les choix qu’il fait dans des décors chaleureux et confortables l’entraîneront inexorablement dans un monde de violence dont il ne pourra plus se sortir, sans plus rien en maîtriser.
Dommage que cette première moitié soit si longue. Car dans la dernière partie, implacable, les défauts du film s’estompent et disparaissent, pour illustrer magistralement cette irruption soudaine, brutale et irrésistible de la violence. Finalement, c’est une pure trame de film noir que McCarthy choisit, tout en livrant une vision réaliste et dérangeante du monde de la drogue.
Son univers sombre et bousculant sied parfaitement à Ridley Scott, qui signe sa mise en scène la plus sobre (et même élégante par moments, si si) depuis des années. Sobre et d’une efficacité imparable : on ne sort pas indemne de cette descente aux enfers qui laisse un goût de souffre…
• DVD chez Fox, avec une poignée de documentaires promotionnels et les bandes annonces d’autres films en vente.
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